Public Enemies de Michael Mann - 2009
Retour en très grande forme pour Michael Mann après un Miami Vice un peu assommant. Public Enemies renoue avec la meilleure veine du maître, celle de Heat et de Colateral, celle où il se permet d'habiller d'oripeaux hyper-contemporains un genre usé jusqu'à l'os : le film de gangster. C'est une merveille absolue au niveau de la mise en scène, et ceci en respectant pourtant à la lettre les passages obligés. La grande idée, c'est de se mettre en danger avec un filmage qu'on ne connaissait pas encore dans son cinéma : la caméra à l'épaule, qui donne à son film un aspect urgent et vénéneux du meilleur effet. La technique, jamais sclérosante, jamais crâneuse, rend magnifiquement justice aux somptueuses scènes d'action surtout. Les personnages courent dans tous les sens autour de la caméra, qui tente de les capter au passage comme si elle était elle-même au coeur de l'action. Ca donne des gros plans insensés, les acteurs passant à quelques millimètres de l'objectif, ça donne une façon de filmer faussement déchaînée qui rend les séquences de fusillade particulièrement impressionnantes. La palme notamment à la longue scène centrale, une traque policière qui démarre calmement et s'étend petit à petit à un immense territoire, avec mille détails et actions pris sur le vif et dopés par un montage de fou furieux toujours très lisible. Le film est comme imprégné par la vitesse de ces scènes, c'est sublime.
Mais Mann ne perd pourtant jamais la maîtrise totale de ce qu'il filme, malgré ce semblant de "direct". Je n'y connais rien en focales, mais le gars en charge de ce poste est un génie. Au sein du plus énorme barnum, la caméra capte toujours des profondeurs de champ invraisemblables, jouant des grands angles, des focus et des mises au point en virtuose. Mann semble bien avoir inventé une nouvelle technique avec ces personnages en amorce au premier plan qui sont aussi nets que les détails placés tout au fond des décors, avec ces plans larges aveuglants de "netteté" (voyez simplement la première scène, celle de Dillinger qui rentre en prison, vous comprendrez ce que je veux dire). Pour appuyer ces tableaux, le travail sur le son est lui aussi impressionnant : certains sons, certains dialogues, sont comme étouffés, volume baissé au maximum, pour mieux mettre en valeur toute une symphonie de bruits (jamais entendu des coups de feu aussi réalistes), comme si là aussi on faisait le focus sur des détails en estompant le motif principal.
Tout ça fait que Public Enemies est un grand moment formel. Franchement, on va d'émerveillements en émerveillements, avec l'impression d'assister à un film en 3d. Le plus beau étant que ce filmage, loin d'être l'oeuvre d'un petit malin avide d'esbroufe, est toujours au service de l'histoire, de la précisison des personnages. Bon, c'est vrai que côté scénar, c'est un peu moins intéressant. Bien sûr, c'est glamour, spectaculaire, plein d'amour et de trahison, de moments de bravoure et de suspense ; mais on a l'impression d'avoir déjà vu mille fois cette histoire de braqueur de banque poursuivi par un flic obsessionel. On prévoit facilement à l'avance quelle va être la prochaine séquence, et même une part des dialogues (la drague de Cotillard par Depp est sur-balisée). Peu d'intérêt là-dedans, même si pas d'ennui non plus. Ceci dit, grande idée d'avoir choisi Johnny Depp pour interpréter ce gangster au grand coeur. On frémit rien qu'à l'idée que Mann ait pu choisir un des ces acteurs cabotins pour jouer Dillinger, bandit souvent antipathique et excessif, au hasard Nicolas Cage. Depp est d'une sobriété de marbre, et du coup les pièges qui guettaient le rôle passent comme une lettre à la poste grâce à sa subtilité de jeu, à sa maîtrise de chaque geste, à son contrôle du personnage : on y croit, et jamais on ne voit Depp sous le personnage. Le reste de la distribution est également au taquet (Christian Bale en flic évite aussi pas mal d'écueils). Public Enemies, pour résumer, c'est un grand film de formaliste, classique et très class, que je vous interdis de voir en dvd tant il est splendide. (Gols 24/07/09)
Bon, déjà, histoire de mettre les pieds dans le plat, j'ai vu le film en dvd et je risque de me faire engueuler par mon comparse - Johnny Depp doublé en chinois, c'est nase de toutes façon. Tout à fait d'accord cela dit avec les remarques formelles de mon camarade : ces arrière-plans étrangement nets, ces variations d'intensité sonore originales - en ajoutant, au passage, le fait que la musique est omniprésente : des notes souvent sombres et graves (admirez la précision de mon vocabulaire musical) comme si chaque scène se devait d'être teintée d'un troublant sentiment de malaise. C'était d'ailleurs déjà le cas dans Miami Vice si mes souvenirs sont exacts. Pas grand chose à ajouter sur le fait que Mann est un vrai bel artisan du cinéma de divertissement, même si je trouve que l'opposition entre Dillinger/Depp et Purvis/Bale (tous deux excellentissimes, faut reconnaître) a finalement moins d'intérêt que celle entre De Niro et Pacino dans Heat; une magnifique scène tout de même, lors de leur unique face à face sans flingues à la main, lorsque Depp se retrouve derrière les barreaux. Il y a entre eux comme un petit jeu du chat et de la souris qui s'installe : c'est à celui qui montrera le plus de confiance et de certitude dans son rôle et la confrontation est un vrai régal. Dommage qu'au final peu de scènes aient la même intensité dramatique. Quelques mots également sur les séquences de torture où, comme dans un Jack Bauer, tout le monde sait très bien que c'est "mal" mais se félicite toujours quand cela marche... D'où le sentiment que la torture c'est quand même vachement efficace et qu'on aurait tort de s'en passer. Seule notre Marion Cotillard nationale, pourtant frêle comme un oiseau, se la jouera farouche résistante avant l'heure et ne lâchera pas ça - plus tête de mule que la Française, franchement?... Elle s'en prend pourtant plein la tronche, la pauvrette, et elle apporte au passage une vraie dignité à son rôle, voire, dans la scène finale une belle émotion. Bel ouvrage, superbement dirigé, manque peut-être juste un peu de fond et de séquences marquantes (c'est bien gentil les mitraillettes qui crépitent pendant trente minutes en défonçant des troncs d'arbres mais bon...) pour qu'on s'en rappelle au delà de vingt-quatre heures. (Shang 03/11/09)