Intervista de Federico Fellini - 1987
Il est vrai que tous les films de Fellini sont des hommages au cinéma ; mais Intervista est quand même le must en la matière : on y voit une déclaration d'amour immense du maestro à son art, si bien qu'on regrette presque qu'il ait encore fait après ce testament un autre film (mauvais par ailleurs). On aurait aimé qu'il termine sur ce panache-là, dans cette douceur et cette nostalgie bouleversantes, et qu'il signe avec Intervista son adieu définitif au métier.
Federico fait feu de tout bois dans ce tableau barriolé et énorme de ses obsessions : son goût pour le cinéma y est abordé sous tous les angles, techniques, artistiques, populaires, nostalgiques, poétiques. Très bien tenu malgré les digressions incessantes et les mises en abîmes vertigineuses (le film dans le film dans le film dans le film...), ce petit bijou de tendresse nous entraîne au coeur du travail du maître, beaucoup mieux d'ailleurs qu'il a pu le faire dans Block-notes di un regista. Démarrant sur un simple tableau des ambiances de tournage, avec ces quelques plans nocturnes déserts qui se peuplent petit à petit de toute la faune des techniciens (quel sens du tempo, quelle façon magistrale d'amener son sujet), il digresse très vite sur ses débuts, et se permet une longue parenthèse de reconstitution sur sa première visite à Cinecitta : mélange de vérité et de fantasmes, cette partie est magnifique, et on a l'impression que toutes les inspirations de Fellini sont condensées dans ces quelques minutes. Le rêve se mêle à la réalité, l'invention fait irruption dans le maelström des impressions, on croise aussi bien le fascisme des années 40 que les Indiens des westerns adorés, la bluette sentimentale italianissime et la fascination hollywoodienne, Cecil B. De Mille et l'opéra. Tout ça dans une homogénéité parfaite, qui prouve que la sève des rêves est plus importante pour Fellini que les faits bruts. Fellini est un grand menteur, oui, et le prouve avec cette reconstitution anachronique magnifique qui nous fait toucher du doigt son enfance et ses inspirations.
Ensuite retour au présent, avec ces portraits tonitruants du petit peuple des tournages : figurants impatients, techniciens nonchalants, producteurs inquiets, stars capricieuses, tout le monde défile dans un festival inconcevable de couleurs, et là c'est le Fellini mégalo et grandiose qu'on découvre, celui qui a les moyens de se payer 15 éléphants et des décors monstrueux sans jamais oublier de rendre drôle le 8000ème figurant en fond de plateau. L'ambition est énorme, et pourtant la simplicité éclate partout, cette modestie de propos, cette pureté de regard qu'on aime chez le maître. D'ailleurs, il cherche toujours à retrouver l'intimité au sein du chaos, et finit toujours par sortir de cette veine baroquissime pour décliner une petite musique intérieure bouleversante : c'est ici la scène culte de retrouvailles entre Mastroianni et Anita Ekberg, dans une séquence poignante où les deux acteurs vieillissants contemplent leur jeunesse enfuie sur un drap tendu. On peut trouver que Fellini se la pète un peu dans cette séquence, mais c'est fait avec tellement de bonheur, tellement de respect pour ses deux stars, que le côté "c'est moa qui l'ai fait" s'efface devant cette sensibilité touchante.
Chacune de ces séquences "personnelles" est entrecoupée de ces fameuses scènes bruyantes et échevelées, finissant par faire naître un rythme impressionant de tenue : on est balancé de moments de bravoure en minuscules vignettes, d'éclats de rire en serrements de coeur, c'est sublime. Quand tout ce petit monde du cinéma se retrouve au final sous une bâche de plastique en pleine tempête, on retrouve le thème cher à Fellini depuis toujours : ce cinéma-là est mort, et avec lui les artisans vieille école, les énormes décors de studio en carton, le glamour des productions exotiques. Ca n'est pas réac, c'est juste une constatation douce-amère de ne plus faire tout à fait partie de ce monde, d'appartenir à une génération finie. Il souligne le tout avec une symbolique un peu lourde, certes (une attaque d'Indiens armés d'antennes de télé), mais c'est d'une sincérité désarmante. Fellini cède la place, constatant avec tristesse que les techniques évoluent, tout comme la société (la piscine qui a servi à Ben-Hur est maintenant un terrain moche envahi par les immeubles) ; Intervista le montre se réfugiant dans l'oubli avec les fantômes de son passé, et c'est bouleversant. Le film force le respect par sa maîtrise incroyable de chaque poste, mais on sent que c'est le dernier tour de piste, d'où une impression de tristesse générale qui fait monter les larmes aux yeux. Fin de l'odyssée felliniaque sur ce blog, fin d'un certain cinéma : on est en phase.