Funny Games (remake américain) de Michael Haneke - 2008
Bon, on peut aller relativement vite pour cette fois, vu que j'ai déjà pondu un texte définitif sur l'opus originel (regarde voir ici), et que ce remake est quasiment une copie à l'identique. Plan par plan, Haneke reproduit son chef-d'oeuvre autrichien (Haneke est autrichien), respectant chaque cadre, chaque tempo. Les petites variations (il faudrait avoir l'autre film en regard pour les percevoir) me semblent trop petites pour qu'on n'arrive à en déduire quoi que ce soit. Ce nouveau film est donc une fois de plus immense, une sorte de point de non-retour dans le discours sur la violence, un film éprouvant, glaçant, sans concession, froid comme la mort, inéluctable comme elle, et on ressort bien entendu soufflés de ce voyage en enfer.
C'est pourtant moins prenant qu'en 1998, quand le père Haneke nous avait présenté pour la première fois ses anges du Mal décimant dans l'ordre une famille normale. On se demande pourquoi, dans un premier temps, pourquoi ça fonctionne moins bien, pourquoi la terreur nous saisit moins à la gorge, pourquoi, en un mot (mais un mot terrible), ce remake est plus fun que son modèle... La raison la plus banale est qu'en tant que fan inconditionnel de Haneke (passion que je partage visiblement avec notre lecteur préféré, Mabuse, voir son commentaire énamouré ici), j'ai déjà vu 12 fois Funny Games made in Austria, et que la surprise n'y est plus. Mais il y a aussi des choses à chercher dans la forme elle-même : en engageant pour jouer sa femme au foyer tranquille Naomi Watts, Haneke commet une erreur. Elle est trop jolie, trop "hors-norme", trop star pour qu'on ne se dise pas qu'on a affaire à une comédienne et non à une femme. Son statut de vedette ruine une des scènes les plus tendues du film, dans laquelle les tortionnaires l'obligent à se déshabiller pour vérifier si elle est bien foutue. L'actrice autrichienne, Susanne Lothar, était bien plus crédible. Ceci dit, à la gloire de Naomi, notons qu'elle gère particulièrement bien son effondrement physique, toute la dernière partie du film la montrant démaquillée, livide, boursoufflée par les larmes. Curieux qu'en face d'elle, Tim Roth ne déclenche pas la même gène ; c'est pourtant lui aussi une star, mais il parvient à oublier ses tics de petit génie de la composition habituels, et sert une prestation sobre et intelligente.
Et puis, il y a surtout qu'en 10 ans (et peut-être justement sous l'influence des films d'Haneke, de Benny's Video à Funny Games), la violence au cinéma est devenue bien plus courante, et traitée définitivement comme une chose spectaculaire par des gens comme Tarantino, Tsui Hark ou John Woo. Du coup, la surenchère terrible à laquelle se livre le film apparaît aujourd'hui, et c'est horrible, comme drôle, excessive. Les mises en accusation du tueur qui s'adresse directement à la caméra sont toujours aussi justes, mais quoi qu'il en pense, on ne sait plus trop si on est de son côté (aller au bout de l'horreur pour avoir sa dose de spectacle) ou du côté de ses victimes (arrêter le carnage). C'est toute l'ambiguité de ce cinéma-là, qui a réussi à parler profondément de la violence en tant que spectacle, tout en déclenchant une mode de la surenchère comme comble du fun. Finalement, le discours de Funny Games s'est légèrement décalé en 10 ans : il est devenu encore plus trouble et dérangeant qu'à l'origine. A quand le remake du Septième Continent ?