LIVRE : Autoportrait de l'Auteur en Coureur de fond d'Haruki Murakami - 2007
On a droit à peu près tous les 6 mois à un nouveau Murakami : c'est une bonne nouvelle, mais ça lève aussi quelques doutes sur la légitimité de ces parutions. Autoportrait de l'Auteur en Coureur de fond sent un peu trop la tête de gondole facile, et on aurait pu sans problème se passer de ce petit essai sans gloire dans la production fascinante du maître nippon. Non pas que ce ne soit pas agréable de sillonner ces petites pages mignonettes ; c'est juste que Murakami est un grand auteur quand il s'y met, et que là, franchement il ne s'y met pas vraiment.
Le livre est une suite de textes courts sur la pratique par Mura de la course à pied, donc : comment il gère ses efforts, comment il se surpasse, comment il se positionne par rapport à la souffrance physique et au doute. Il en tire quelques jolis passages assez sereins, notamment quand il s'attarde sur l'ambiance automnale à New-York, ou quand, entraîné dans un super-marathon de 100 km il parvient à une sorte d'illumination bouddhiste. Le gars sait incontestablement rendre vivantes ces phrases souples, le rythme est tranquillement énergique, l'humilité y éclate à chaque paragraphe. Intéressants aussi, ces parallèles entre l'effort de la course et le travail de l'écrivain, les deux allant pour Mura de paire : sa description de l'effort physique qu'il y a à écrire un livre est convaincante, Djian aurait été content de trouver cette simplicité-là pour parler de son labeur.
Mais, est-ce le sujet finalement peu intéressant, est-ce une certaine nonchalance dans l'écriture, est-ce le manque évident de "finition" ?... le livre paraît aussi assez bâclé. Comme le précédent Saules aveugles, Femme endormie, cet essai assez quelconque apparaît simplement comme une parenthèse pour patienter jusqu'au prochain roman, voire comme un appel au porte-monnaie du fan. Tout n'est peut-être pas bon à publier de Murakami, et on est quand même moyennement impatient de lire sa liste de courses, projet qui ne manquera certainement pas de voir le jour chez Belfond. Autoportrait de l'Auteur en Coureur de fond est clairement indigne du talent de Murakami, allant même jusqu'à des lapalissades ineptes ("S'endormir dans certaines situations où il ne le faudrait pas peut poser des problèmes", oui, on est d'accord), ou à des platitudes. Le style précieux de l'auteur, qui éclate dans les dialogues de ses romans, fait de simplicité, de naïveté, voire d'une platitude assumée (cf le magnifique Passage de la Nuit) est gênant ici : ce ne sont plus des personnages qui parlent, c'est l'auteur lui-même, et du coup l'épure de son écriture apparaît comme un peu quiche.
Ceci dit, je suis à deux doigts d'incriminer plus la traductrice (Hélène Morita) que Mura lui-même. J'ai toujours eu quelques doutes sur celle-ci, et depuis qu'elle a pris les rênes (après la plus subtile Corine Atlan), je trouve que les livres de Mura sont devenus plus plats. Mais ici ça devient vraiment évident, à commencer par l'énorme pléonasme du titre lui-même (ça existe, un "autoportrait" qui ne soit pas "de l'auteur" ?) : on l'apprend à la fin, le titre original est autrement plus beau (en gros : "De quoi parle-t-on lorsque l'on parle de courir"), et ça met de sérieux doutes sur la fidélité de la traduction. Peut-être l'aspect un peu médiocre de l'essai n'est-il dû qu'à cela. Dans le doute, oublions ce livre, malgré tout potable et parfois intéressant, et attendons 6 mois pour avoir un vrai roman du maître. (Gols 09/04/09)
Je pensais que l'ami Gols avait eu un peu la dent dure avec la traductrice, mais le moins qu'on puisse dire, au delà de ce titre ridicule en effet, c'est qu'il n'a pas tout à fait tort. Entre des phrases vraiment bancales - elles ne sont pas légion non plus mais instaurent le doute ("Et si je me sers de moi comme exemple, moi qui écris depuis longtemps : c'est précisément ma capacité à déceler certains aspects d'une scène que d'autres ne voient pas, à ressentir autrement et à choisir des mots qui diffèrent de ceux des autres qui me permet d'écrire des histoires." - on voit certes le sens mais la ponctuation est résolument étrange) - et un vocabulaire assez pauvre (comparé surtout aux autres oeuvres de Murakami traduites par Atlan), on reste un peu pantois...
Bref, on aime tout de même notre Murakami, et on prend d'autant son pied lorsque l'on a effectué déjà soi-même un marathon (j'ai repris sérieusement l'entraînement, en plus - absolutely no cigarettes, je suis une pile - pour le prochain marathon de Shanghai dans trois mois, au moins le semi Marathon dans un premier temps...) La solitude du coureur de fond, quelques grands moments en effet lorsque Murakamai nous conte par le menu son "ultramarathon" de 100 km; quelques phrases glanées ici ou là qui rendent parfaitement compte aussi bien de sa souffrance ("J'avais la sensation d'être semblable à un morceau de boeuf en train de passer à vitesse réduite au hachoir à viande"), de sa pugnacité ("Je ne suis pas un homme. Juste un rouage d'une machine. Une machine, ça ne ressent rien. Donc, tu continues, c'est tout") que de cet état "supérieur" qu'il atteint dans les derniers kilomètres, pas si loin finalement d'une sorte de nirvana : "Cela semblera étrange, pourtant, vers la fin du parcours, non seulement la souffrance physique n'existait plus, mais encore les notions de qui j'étais et de ce que je faisais avaient plus ou moins disparu de ma compréhension". Murakami nous fait partager comme rarement une petite partie de son intimité, c'est peut-être pas toujours passionnant en soi, mais cela permet de prendre pleinement conscience de sa volonté à aller jusqu'au bout de ce qu'il entreprend; non point, comme il ne cesse de le répéter, dans le but d'être "le meilleur", simplement pour parvenir aux objectifs qu'il s'est lui-même fixés, qu'il s'agisse de la création d'un roman ou de sa performance lors d'une épreuve sportive. Il y a beaucoup de petites choses assez touchantes, comme cette aptitude à courir plus longtemps quand il a été blessé - moralement -, cette minutieuse organisation quotidienne (dans son travail et ses entraînements) ou encore cette ultra indépendance dans sa façon de mener sa vie : "Depuis toujours j'agis selon mes désirs profonds. On a beau vouloir m'arrêter ou me persuader que je me trompe, je ne dévie pas. Comment un homme comme moi pourrait-il accepter d'être dirigé par qui que ce soit ?" On est pas face, c'est clair, au grand romancier qui nous enchante pendant des centaines de pages, mais cette petite fenêtre sur l'homme, ce coureur non point de jupons mais de fond, parvient à le rendre encore un peu plus proche de son propre univers... (Shang 01/09/09)