LIVRE : La Société du Spectacle de Guy Debord - 1967
La Société du Spectacle, c'est balèze, et vous pouvez considérer cette affirmation comme un peu légère dans le genre critique littéraire, je le réaffirme : La Société du Spectacle, c'est balèze. Bon, je développe un peu : Debord s'attaque frontalement aux problèmes de l'économie mondialisée, de la lutte des classes, de la nécessité d'une révolution, en s'en prenant principalement aux représentations de la puissance bourgeoise, qu'il appelle "spectacle". C'est donc, je vous le confirme, un livre honteusement pro-anarchisme, ce qui ne peut que réjouir, mais c'est aussi beaucoup plus que ça. Car pour développer sa thèse d'une révolution qui se libérerait du fossé entre les classes, Debord utilise un style qui est très loin du désordre envisagé dans le fond : constitué de très courts modules très ordonnés, le style est hyper-pointu, d'une précision scientifique. Impression renforcée par ces numéros au début de chaque paragraphe, qui avancent inéluctablement vers un but très net. Ecriture très efficace, implacable même.
C'est vrai que le développement est parfois très ardu, et qu'il faut s'accrocher pour suivre le gars dans ses concepts fumeux autour de Hegel et de Marx, dans ses postulats stylistiques très complexes. On ne comprend qu'une partie de ce qui est dit, mais souvent, au détour d'une phrase, le sens de la formule à l'emporte-pièce surgit subitement avec beaucoup de clarté, et ça assomme bien son homme. On ne peut que vibrer devant la sincérité du bonhomme, devant sa volonté véritable de déclencher le goût du changement chez son lecteur. Supérieurement intelligent quand il s'en prend directement aux représentations bourgeoises du monde, le livre va très loin dans la dissection de la chose, allant jusqu'à déployer une sorte de mysticisme du spectacle à laquelle il s'oppose avec une belle force intellectuelle. C'est chaud à lire, certes, mais c'est aussi que Debord affirme très clairement la nécessité d'éduquer les masses par la théorie philosophique, afin de préparer une vraie révolution durable ; à ce compte, on lui en aurait voulu de vulgariser sa pensée, et on la trouve très bien comme ça, dans ses phrases absconses et ses longs passages mystérieux. Voilà un livre qui devrait inciter le révolté de base à agir autrement qu'en brûlant la poubelle de son quartier, en le faisant réfléchir en profondeur à l'endoctrinement dont il est victime. Tous ensemble, tous ensemble, hey !