Chasse à l'Homme (Man Hunt) (1941) de Fritz Lang
Man Hunt recèle quelques moments véritablement palpitants - impossible d'oublier la scène d'ouverture et l'avant-dernière séquence -, nous régale de ces décors londoniens enfouis dans le brouillard, le pavé humide à souhait, et de ses rames de métro en forme de trou à rats (où le nazi meurt) et nous livre un personnage de "femme-objet" - la délicieuse Joan Bennett - des plus intéressants à "suivre"... Si la chasse à l'homme en tant que telle n'est peut-être pas toujours d'un suspense étourdissant, si Fritz Lang, comme explorant en route plusieurs chemins, plusieurs genres, saupoudre son histoire d'instants gentiment comiques - la confrontation entre une Joan très à la coule et une lady serrée des fesses - et d'un soupçon de romance, inaboutie, il parvient parfois à nous faire applaudir de deux mains devant une sublime scène de séparation - la séquence sur le pont, inoubliable - ou par l'utilisation diablement maline d'un simple objet - une flèche qui, ici, ne va pas forcément droit au coeur mais bien en direction de l'ennemi.
Avoir, quelques mois avant le début de la guerre, Hitler en point de mire et ne point tirer, faut reconnaître que c'est assez bêta. Mais pour le Capitaine Thorndike (Walter Pidgeon, parfaitement convaincant), il ne s'agit alors que d'un jeu, un genre de pari fait à soi-même dans cette traque impossible de l'homme le plus protégé du moment. Le plus bêta dans l'histoire, c'est encore de se faire chopper et de se voir forcer de signer une déclaration attestant que l'on obéissait aux ordres du gouvernement britannique... Mais le Capitaine Thorndike est un dur, parvient miraculeusement à s'échapper et à regagner Londres; la chasse à l'homme est pour autant loin d'être finie, Walter ayant à ses trousses un inquiétant personnage au monocle (excellent George Sanders) et un personnage fantômatique qui fout les boules (spectral John Carradine). Notre héros sera aidé dans sa fuite par deux personnages bien innocents, un gamin plein de bonne volonté et la candide et jeunette Joan Bennett - 31 ans et en paraissant, dans le film, tout juste une vingtaine. Tout semble parfaitement en place pour le début d'une idylle mais ce petit coeur qui bat, celui de la Joan, va peu à peu transformer notre Walter non point en amoureux transi mais en véritable "arme à tuer" - il est des périodes troublées où "l'engagement", à défaut d'être sentimental, est dans la défense de ses idéaux.
Faut reconnaître que l'idée de cette petite broche en forme de flèche, aussi "touchante" et fragile, au départ, que celle dont pourrait se servir Cupidon, et qui se transforme en véritable arme contre l'agresseur, est une magnifique trouvaille cinématographique. La séquence de la séparation déchirante entre Joan et Walter n'en prend a posteriori que plus d'éclat, comme un rendez-vous manqué dû autant à la différence d'âge - Walter considère tout du long Joan comme une enfant - qu'à la prise de conscience que l'époque n'est plus aux "jeux innocents" - leur baiser restera à jamais suspendu... Walter prend peu à peu conscience que son "acte manqué" au début du film était d'une rare stupidité et son engagement dans l'armée, à la fin du film, est un message on ne peut plus clair en cette période de troubles... Fritz Lang demeure un cinéaste toujours merveilleusement à l'affût.