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25 juillet 2009

Les Visiteurs du Soir de Marcel Carné - 1942

1200898_1564890Je sens que les Amis de Marcel Carné esquissent une grimace, tant leur idôle n'a pas tellement la côte habituellement dans les colonnes de Shangols. Eh bien, qu'ils se rassurent : Les Visiteurs du Soir fait partie des films du Marcel qui restent regardables aujourd'hui, et je dirais même que j'ai passé un fameux moment hors du temps avec cette fable d'un autre âge. Il est vrai que ce qui m'a plu ne faisait peut-être pas partie du cahier des charges de Carné, mais le fait est.

Oui, parce que moi, je me suis bien marré en voyant Les Visiteurs du Soir. C'était pas le but, mais tant pis. Le film est d'une naïveté qui fait vraiment du bien, affichant sa croyance en l'amour éternel et en la supériorité du bonheur sur la haine comme des étendards, et habillant tout ça sous des costumes ORTF absolument charmants. C'est kitchounet (regardez surtout les chaussures, impayables), ça véhicule une vision de la vie que n'oseraient pas les Télétubbies, c'est complètement dépassé, mais fait avec une telle confiance qu'on ne peut qu'avoir le coeur tout chafouiné devant cette historiette mignone comme tout. Deux émissaires du diable sont envoyés sur terre pour semer le trouble amoureux partout où ils passent, un peu comme l'ange de Teorema de Pasolini. Ils sont tellement beaux, leur musique est tellement ensorcelante, qu'ils n'ont aucun mal à foutre la zone au sein des ménages les plus établis, du veuf inconsolable aux nobliaux mal mariés. Mais l'amour sera plus fort que le cynisme du diable, et cette fois Mephisto ne fera pas le poids face au noble sentiment.

81u6bmoAu milieu d'un univers visiblement fauché (la technique crie à l'aide à tous les postes, décors, costumes, montage, musique), Carné parvient à livrer un film à l'atmosphère très étrange, une sorte de Cocteau du pauvre, ouaté, lent. Tout se fait dans un style presque japonais à force d'être épuré : la longue rêverie des deux couples d'amoureux a vraiment quelque chose qui tient à la texture des rêves, avec ces figurants figés, ces rares personnages placés au sein du vide, ces nains monstrueux qui font la ronde, cette façon qu'ont les acteurs de rester complètement immobiles pour laisser toute la place aux dialogues précieux de Prévert. Quand spectacle il y a, et il est rare, c'est toujours très doucement amené, sans bruit, sans esbroufe. Tous les tours de magie de nos deux diablotins sont systématiquement amenés presque logiquement, très joliment (un homme qui montre une chaîne en se plaignant d'avoir perdu son ours, et hop, doucement, la chaîne qui se tend et un ours au bout ; un petit travelling sur les jambes d'Arletty habillée en homme et hop, une robe qui tombe sur elles pour montrer sa métamorphose...). Manque de moyens ou vraie volonté, je ne sais pas, mais en tout cas le film est fantastique sans effet, à l'image de ce diable qui se dédouble et s'observe simplement en train de parler dans un autre lieu.

visiteurs_du_soir_1942_06_gEn plus, Carné ose la préciosité la plus totale, avec ces dialogues infâmes de mièvrerie et qui passent pourtant très bien, avec cette actrice (Marie Déa) qui surjoue la jeune première et parvient pourtant à toucher, avec ces chansons sucrées qui s'inscrivent pourtant très bien dans l'ambiance générale. C'est vrai que l'arrivée de Jules Berry, bondissant et cabotin, dans cet univers austérissime, fait du bien, et que le film est peut-être trop sérieux, trop janséniste. Mais il faut quand même du courage à Carné pour prendre le risque d'être aussi anachronique, aussi désuet. Tout comme est courageux le choix d'Alain Cuny pour interpréter le romantique diable amoureux : il est tellement en décalage qu'il finit par être émouvant. Voilà le seul acteur qui parle sans jamais ouvrir la bouche, qui balance une expression par heure environ, qui est de plus dôté d'une voix de fillette et d'une absence totale de traits sur le visage, et qui parvient pourtant à créer un personnage franchement bluffant. On ne sait pas trop si on doit rire ou avoir peur de lui : moi, j'ai choisi la première option, et j'ai bien fait. Il est vraiment drôle.

73cwww9Voilà, pour le reste, c'est très plaisant, même si encore une fois la vision de l'amour par Carné est sidérante de candeur. Malgré la mièvrerie, le film ose parfois un beau cynisme (le personnage d'Arletty est vraiment bon, amer, perfide, et l'actrice pour cette fois l'endosse très bien : elle est belle et presque poignante, grâce à ce sourire faussement naïf qu'elle s'est trouvé et qui marque des points) ; et il est permis aussi, à mon avis, de voir dans cette histoire une allégorie de l'occupation allemande de l'époque, le diable équivalent à l'Allemand, et le petit coeur de nos amants continuant de battre sous la menace. Pour cette fois, donc, je laisse mon armement anti-Carné dans ma poche.

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