Le Berceau de Cristal de Philippe Garrel - 1976
Ah oui, voilà qui change du film de tf1 d'hier soir, et même qui change tout court. Dire que Le Berceau de Cristal est radical serait en-dessous de la vérité : c'est une espèce de coup de massue, dans tous les sens du terme (le côté assommant aussi bien que le côté renversant). Pendant 1h15, on assiste à une succession de plans fixes, à 90% sur une femme seule (Nico). Elle lit, rêvasse, se roule un cosse, écrit deux-trois poèmes psychédéliques, le tout dans une obscurité inquiétante et sur une musique planante que je conseille pour l'enterrement de Michael Jackson. De temps en temps, deux ou trois autres cadres : sur un homme qui attend (Garrel), ou sur un peintre au travail, ou sur d'autres femmes (dont Dominique Sanda entourée de fleurs). On se dit que c'est bien joli le cinéma selon Garrel, que c'est encore une fois une de ses variations sur l'enregistrement en tant que révélateur de fantômes, qu'il y a quelque chose dans ces plans épurés qui relève de l'essence même de l'outil cinéma, un retour à la pureté, à la source ; mais on se dit aussi que c'est quand même un peu chiant. Les personnages semblent sortis de l'ombre, ou en passe d'y retourner, le tout a un aspect morbide et romantique en même temps qui fait son effet, mais peut-être qu'une demi-heure aurait suffi pour dire la même chose.
Cela dit, on aprécie finalement que le cinéma soit aussi ça, une incitation à la rêverie ; on décroche très souvent du film lui-même pour rêvasser, comme Nico, à d'autres choses, se raccrochant parfois quelques instants pour partir sur autre chose. Le Berceau de Cristal, c'est une installation qui ne demande rien, qui n'exige pas qu'on reste dedans, qui s'utilise un peu comme ces drogues de l'époque, comme une porte ouverte vers un autre monde, calme et simple. Il y a vraiment une ambiance intrigante, qui tient autant du vide que de l'attente de quelque chose, une sorte de vigilance sans tension, comme si un bout de temps s'était arrêté pendant la projection. Impression confirmée avec le dernier plan du film, bluffant : Nico se tire une balle dans la tête. On comprend alors cette impression de voyeurisme sans violence qui sous-tend le film : tout est concentré dans cet acte final, et ça devient un essai austère sur l'observation de la mort en marche. Encore une fois, le film aurait sûrement plus sa place au sein d'une expo à Beaubourg que lors d'une vraie séance cinéma, et il est plus intéressant comme concept que dans son résultat. Mais quand même, on est plein de respect pour ce cinéma totalement en marge, qui vous fait chier pendant 1h15 pour mieux vous plonger dans la réflexion une fois la chose (enfin) terminée. Je ne conseille Le Berceau de Cristal à personne, mais je suis bien content de l'avoir vu.
Garrel soûle ou envoûte ici