LIVRE : Rêves de Garçons (Boy Heaven) de Laura Kasischke - 2006
Un auteur décidément bien original et intrigant que cette Laura Kasischke : après A suspicious River, déjà bien prenant, la voilà qui revient avec ce conte macabre d'une très belle tenue. Précisons d'abord que la traduction est remarquable, d'autant plus que le boulot ne devait pas être simple pour retrouver la subtilité de l'écriture de la dame. Vocabulaire riche, phrases parfaitement rythmées, gestion magnifique des tempo (pi?) pour créer l'ambiance, Kasischke est dotée d'un vrai style, qui ne ressemble pas aux autres, et sait par exemple charger le moindre détail de décor d'une puissance maléfique étonnante.
Car il est surtout question de mort et de malédiction dans cette histoire qui commence comme un livre pour jeunes filles et s'achève à la limite du fantastique. Trois pom-pom girls dans un camp d'été qui croisent deux pauvres gars du coin ; un sourire trop vite échangé, et voilà nos majorettes lisses et parfumées traquées par ces deux gugusses ; la légèreté vire au cauchemar dans les dernières pages, parfaitement bluffantes. D'autant que le livre a su faire monter très lentement la sauce dans les 200 premières pages : on est saisi dès le départ par ce regard presque métaphysique sur une american way of life envisagée comme une anti-chambre de l'enfer. La mort et la désolation se trouvent au bord de cette vie d'adolescente superficielle, et Kasischke ne cesse de convoquer des motifs morbides pour nous le rappeler : entre les milliers de cigales mourrant dans la chaleur suffocante de l'été et l'abîme d'un lac qui longe la route, entre les règles d'une jeune fille qui apportent le cru du rouge sang dans ce petit monde parfait et l'imaginaire plein de fantômes de la narratrice, on est sans cesse au bord de l'horreur. Le style très poétique et en même temps cru nous fait parfaitement ressentir l'immonde derrière la beauté, quitte parfois à en rajouter dans la somme des symboles. A force de nous faire côtoyer l'horreur, le livre nous y plonge subitement sur la fin, par un biais qu'on n'attendait pourtant pas. Rêves de Garçons est un portrait glaçant d'une Amérique affreuse, basée sur la mort, le vomi, le sang, la culpabilité, qui se cache derrière un portrait de jeune fille d'aujourd'hui. Un grand livre d'ambiance, qui réussit son pari du premier chapitre : retrouver l'effroi des histoires fantastiques qu'on se raconte au coin du feu. Le tout sans effets horrifiques, simplement en constatant que le monde est une boucherie.