LIVRE : Les Fils de la Médina (Awlâd Hâratinâ) de Naguib Mahfouz - 1959
Aucun doute sur les talents de conteur du regretté Mafhouz qui signe un vrai pavé toujours aussi limpide dans le style que richissime dans le fond sans jamais toutefois que les symboles ne prennent trop le pas sur le fil narratif. Mafhouz se propose ni plus ni moins de transposer l'histoire sainte à travers la mise en scène de cinq destins extraordinaires dans la cité du Caire : la genèse avec le personnage bien nommé d'Adham ("Un jour qu'Adham contemplait son ombre sur le sentier qui serpentait entre les rosiers, il aperçut soudain une autre ombre qui se détachait de la sienne : quelqu'un arrivait derrière lui, tournant le coin du sentier. Par un étrange effet d'optique, cette ombre nouvelle semblait sortir de ses côtes. Il se retourna et vit une jeune fille brune qui, l'ayant soudain aperçu, faisait mine de revenir sur ses pas"... Il va forcément rencontrer son Eve), la prise de pouvoir dans le bruit et la violence contre les chefs des quartiers d'un Gabal-Moïse, la douceur et la persévérance pour imposer son monde d'un Rifaa-Jésus, le sens du rassemblement et de la solidarité pour vaincre un Qasim-Mahomet, et enfin l'histoire d'un mystérieux alchimiste capable de fabriquer des bouteilles explosives - et il est forcément difficile de ne point penser à l'écrivain lui-même avec ses brulots littéraires (le livre demeure interdit en Egypte, bêta...) toute proportion gardée. Dit comme cela, ça peut sembler un peu lourd, mais Mafhouz possède toujours ce don pour nous rendre vivant toute la vie d'un quartier dont les membres flottent souvent sous les fortes effluves du haschisch. Multiples actes de rebellion contre les petits tyrans qui imposent leur loi dans chaque recoin de la ville, au cours de ces récits, mais également amples histoires d'amour et d'amitié qui se nouent dans l'espace étroit de ces petites ruelles. Un vrai régal d'évocation, de symboles finement ciselés et de légèreté formelle.