Two Lovers de James Gray - 2008
Two Lovers est bouleversant. Cette critique n'ira pas beaucoup plus loin que cette assertion définitive, tant ce chef-d'oeuvre est du genre à échapper à toute analyse. Coller des mots sur l'émotion qu'on ressent devant ça reviendrait à amoindrir le choc, et ne comptez pas sur moi. Alors oui, on peut noter la grandeur de la mise en scène de Gray, enfin libéré de ses inspirations trop collées à un genre (le film noir) : ici, c'est un émerveillement à chaque scène, cette impression que la caméra est toujours exactement à la bonne place, que la longueur des plans est toujours exactement la bonne, que le moindre travelling, le moindre zoom, est celui qu'on attendait sans le savoir. On peut noter le travail sidérant sur le son, avec ce vent omniprésent qui balaye tout, avec cette musique qui décuple l'émotion, avec cette qualité dans la voix des acteurs (très légère brisure suraigüe pour Phoenix, diction emplie de souffles subtils chez Paltrow, qui donne un dialogue au téléphone à tomber par terre, rien de plus beau depuis Carax). On peut noter le sens de l'espace, impressionnant mais toujours intime, que ce soit dans une cour d'immeuble, dans un restaurant chic, sur un toit en hiver : Gray prend toujours en compte le moindre détail du décor, en rend les lumières avec une immense sensibilité, et en même temps reste au plus près des acteurs, des souffles, des voix. On peut noter la direction d'acteurs au-delà du génie, avec cette Isabella Rosselini inoubliable (elle apparaît, boum je pleure), avec surtout ce Joachim Phoenix incroyable de profondeur, de justesse, de sensibilité. On peut noter tout ça, mais contentons-nous de nous essuyer les yeux en nous inclinant devant Gray, qui laisse tomber enfin la cérébralité froide pour cette sentimentalité ravageuse. Le plus beau mélodrame du monde. 2009 sera sentimental ou ne sera pas. Pour une critique plus fine, voyez les autres blogs. (Gols 10/01/09)
L'émotion étreint tellement dans la dernière séquence - un sombre mélange de pathétisme, de déception, d'acceptation, de fatalisme, de vie quoi - qu'il est en effet bien mal aisé de vouloir chercher à pondre quelques notes sur cette symphonie amoureuse d'un classicisme terrible dans le plus pur sens du terme. James Gray semble avoir gommé tout effet un tant soi peu facile de sa palette formelle pour nous livrer ce ballet sentimental d'une immense classe. Alors que Joachim Phoenix est littéralement au fond du trou lorsque le film s'ouvre, il lui est fait don d'une véritable peau de chagrin avec la rencontre magique de ces deux femmes venues quasiment de nulle part. Si l'une (Vinessa Shaw, brunette d'une immense douceur) incarne le long fleuve tranquille de la sagesse et de la facilité, l'autre (Gwyneth Paltrow, rarement aussi touchante) représente l'étincelle magique, la fée inaccessible. Si l'une semble conquise sans qu'il soit bien la peine d'en rajouter, l'autre est à conquérir. Joachim navigue entre ses eaux amoureuses, le drame étant que l'on soit toujours, fatalement, plus tenté par les courants tourbillonnants que par les rivières dormantes... L'ami Gols notait à juste titre la scène caraxienne au téléphone, le placement sans faille de la caméra qui nous positionne constamment dans l'intimité de ces personnages, traquant chaque regard qui dévoile leur pensée, leur monde intérieur, ou encore la tessiture de chaque voix parfaitement maîtrisée et l'on voit guère ce que l'on pourrait ajouter à ce scénario implacable aux images ouatées... De la montée en puissance des sentiments ph(o)enixiens jusqu'à "l'amertume salée" (on m'accorde ce bizarre oxymore?) du final, Gray prouve comme jamais son immense valeur dans la peinture des sentiments et ses aléas amoureux, teintés d'ironie. Bluffant de sobre virtuosité (j'invente des alliages, ça peut marcher parfois...) (Shang 16/05/09)