Metropolis (1927) de Fritz Lang
"Le médiateur entre le cerveau et les mains doit être le coeur" - Bon, ok, mais quand il n'y a point de cerveau, on fait quoi ? Fritz Lang ouvre la boîte de Pandore des problèmes sociaux du siècle en devenir, mais offre une conclusion en forme de paix sociale un peu convenue. On va point lui en tenir rigueur tant le film est bourré de séquences d'anthologie, de personnages marquants, de milliards d'idées visuelles. On touche ici l'un des summums du muet, et la musique originale pleine de souffle et d'impétuosité relègue au placard la version pudding et top 50 de Moroder. Fritz Lang est grand, j'ai rien inventé.
Véritable voyage au bout de la nuit, ou au fond de l'abîme, du monde ouvrier : l'une des toutes premières séquences avec ces ouvriers qui se rendent au taff sur un léger pas cadencé alors que ceux qu'ils relèvent marchent également en mesure mais totalement laminés donne tout de suite le ton de cette machine cinématographique extraordinairement rythmée. Les ouvriers s'affairent à leurs tâches en mesure - un véritable tableau animé extrêmement complexe - avant de se faire bouffer tout crus, métaphoriquement parlant, par le Dieu mécanique Moloch. Des ouvriers qui rament, qui triment, qui se battent "contre le temps" pour tenir pendant leur dix heures de labeur - la machine aux aiguilles dont le cadran finit par s'orner de mesures temporelles - et qui ne trouvent de repos et de soulagement qu'en écoutant les paroles pacifiques de Maria dans cette mini-chapelle clandestine ; il est plus question de la recherche d'un médiateur de "coeur" que d'un véritable Messie libérateur, comme un retour en de réelles valeurs humaines totalement oblitérées - l'image du "paradis" chez les nantis ayant, lui-même, toutes les caractéristiques d'un espace claustrophobique et déshumanisé. Chaque décor, au passage, est un émerveillement pour les mirettes, qu'il soit d'une grande sobriété avec des lignes de force très pures - cette chapelle, justement, avec ces quelques croix érigées vers le ciel - ou qu'il soit d'une incroyable densité - cette vue sur cette ville des gratte-ciel avec des voitures, des trains et des avions dans tous les sens, vision re-pompée trois mille fois depuis.
Certes au niveau du jeu des acteurs, on fait pas toujours dans la dentelle - Freder qui lance toujours des regards outrés et tout colère comme si on venait de lui apprendre l'élection de Sarkozy, Maria robotisée qui a plus de tics que Vincent Lindon hors caméra ou l'inventeur Rotwang totalement sous acide (oui, l'expressionnisme porte bien son nom, certes) - mais les relations qui se tissent entre chaque personnage sont empreintes d'une fascination, d'une passion qui expriment autant l'amour (Freder et Maria) que le pouvoir de destruction (Rotwang via une Maria robotisée et délurée (It's really Hel !) via la foule des ouvriers). La seconde partie intitulée "Furioso" continue de faire passer encore et toujours des frissons dans le dos avec la mise en scène somptueuse et eisensteinienne de cette foule en colère et ces images de véritable déluge de fin du monde, piégeant les ptites nenfants dans les sous-sols métropolistains. Beaucoup aimé ces rapides petits effets de travellings avant ou arrière, toujours légèrement en rupture dans le rythme de la séquence, pour traduire les instants de panique et on pourrait passer des nuits à détailler certains effets de montage (la main gantée de Rotwland qui s'abat sur sa proie, hummm ; le plan en caméra subjectif de Freder dont la main s'avance vers un reliquat de la robe de Maria coincée dans une porte ; ce même Rotwland, aux gestes "heurtés", lors d'une scène montée "à l'envers" - ou "en rewind" pour être plus clair ; Rotwland, encore et toujours, qui bidouille deux cents cinquante manettes et boutons pour donner vie à sa création - j'adore sa super concentration pour faire bouillir trois éprouvettes qui ne servent strictement à rien, uniquement pour traduire l'idée d'un processus super complexe... ehehe) mais po de bol, j'ai pas trop le temps et en plus j'ai po pris de notes. Metropolis est de toute façon à se refaire régulièrement tant l'on est dans le pur chef-d’œuvre. (Shang - 06/05/09)
Énorme morceau, on est d'accord, un des sommets non seulement de l'ami Fritz mais aussi du cinéma muet. Il faut quand même être doté d'une certaine dose de génie pour inventer ainsi un monde futuriste crédible et lui adjoindre en plus 10000 lectures prophétiques pertinentes, et qui, pour la plupart se sont trouvées effectives un siècle plus tard : les puissants qui laissent les gueux détruire une partie de la ville pour mieux pouvoir les matraquer ensuite ; l'aliénation par le travail ; la recherche à tout prix d'un gourou dès que la crise pointe ; l'utilisation par l'état de l'échec même de son système pour le renforcer... Pas sûr que les Gilets Jaunes aient vu ce film, mais s'ils l'ont fait, ils ont dû reconnaître un miroir tendu à leur révolte, que ce soit pour corroborer leurs idées ou pour en pointer les inutilités. On l'a souvent dit à propos de ce film, mais il anticipe la plupart de nos maux, ceux de l'époque bien sûr, mais ceux d'aujourd'hui tout autant. Le monde décrit n'a pas pris une ride, comme c'est souvent le cas avec la SF : tout y est crédible, et dopé en plus par le sens extraordinaire du spectacle. Chaque petit détail qu'on voit à l’écran est pensé, mesuré, envisagé pour être le plus graphique possible. Inspiré par les grands théoriciens russes autant que par l'expressionnisme allemand, Lang puise à toutes les sources pour fabriquer la plus grande fresque qui soit. On assiste à une succession de tableaux qui vous rentrent dans la rétine, que ce soit les grands plans aux 10000 figurants ou les cadres plus serrés, intimes, et jusqu'aux gros plans surpuissants.
En parlant des gros plans, et donc des acteurs, il faut ici réparer l'injustice flagrante de mon compère envers Brigitte Helm, qui est tout bonnement immense là-dedans : aussi belle et touchante dans le rôle de le courageuse Maria que diabolique dans celui de la femme robotisée, elle dope la pellicule comme rarement, et son jeu, proche de la danse ou de la pantomime, complètement expressionniste, immédiatement grandiose dans les poses qu'elle sait faire prendre à chaque membre de son corps, à son visage où tous les éléments semblent dissociés les uns des autres, son jeu donc rentre dans la catégorie rare des idoles photogéniques au premier coup d’œil. Cette prodigieuse actrice n'a pas eu la carrière qu'elle méritait, moi je dis (ses amitiés avec les nazis n'étant peut-être pas étrangères à la chose, mais bon...), mais j'annonce déjà que les scènes où elle se livre à des imprécations diaboliques envers ue foule hébétée et manipulée sont parmi mes préférées de tout le cinéma mondial : l'angle des bras, le travail des mains, l'expresivité du visage, le dessin tordu du buste, popopo... Brigitte, je t'aime. Lang la regarde fasciné, et nous avec. Et on garde toute notre sidération pour l'ensemble de ce film total, sorte de définition du Cinéma à lui tout seul. (Gols - 04/12/20)