Les Chemins perdus 1966-1967 de Philippe Garrel - 1984
Une étape bizarre et un peu décousue dans la carrière du sieur Garrel. Presque 20 ans après, il décide de monter ensemble trois petits films qu'il fit à son époque "je fume mes cheveux et je fais la révolution". Il y a bien quelque chose de touchant dans ce retour à ses envies de l'époque, et dans la simplicité qu'il met dans ce montage, mais Les Chemins perdus 1966-1967 reste un objet sans véritable attache, les trois films présentés ayant finalement peu à voir les uns avec les autres au niveau de l'esthétique et même du discours.
Le Living Theatre, Donovan et les Who : trois façons peut-être de se révolter dans ces années propices à la rebellion. Du côté de la troupe américaine, on est en pleine répétition de spectacles à visée révolutionnaires. A travers une poignée d'interviews enfumées se dessine toute une époque, celle où l'on croyait, tout comme Garrel, que l'art pouvait changer le monde, désarmer les fâcheux et modifier le prolo. Belle sincérité dans ces témoignages face caméra, où quelques hippies manifestement sous influence tentent de résumer un discours complexe sur l'inquiétude au théâtre et la nécessité de déranger le public. Il faut toujours "être en recherche", comme le dit le chef de troupe (serait-ce Julian Beck lui-même ?), pensée qui a dû ravir le jeune Garrel qui ne se gêne pas pour avoir fait de ce mot d'ordre le cahier des charges de son cinéma.
On croit donc qu'on est partis sur de l'anarchie pur jus, et nous voilà subitement plongés au sein d'un concert du sirupeux Donovan, filmé à la vas-y-que-j'te-pousse depuis le balcon du théâtre (c'est l'impression que ça donne). Garrel zoome comme un fou sur le visage inexpressif du chanteur, décadre allègrement, et laisse filer cinq ou six chansons sans tiquer. Pour nous, c'est moins évident : la musique est assez infâme (le batteur a pris ses cours chez Caterpilar), le gusse complètement absent, le son saturé, et le créateur lumière au vestiaire. Une autre façon de se révolter, disons, en balançant des fleurs et de la confiture de myrtilles sur un public de jeunes filles en fleurs.
On termine avec cinq minutes d'enregistrement en studio des Who, et Garrel se réveille niveau filmage : vas-y que je fais des travellings à 2000 à l'heure en essayant de suivre le rythme, vas-y que je m'arrête pour défier le regard peu amène du batteur, vas-y que je bouge mon corps. Encore une fois, c'est intéressant de revoir les p'tits gars à leur grande époque et d'écouter quelques bribes de son vintage, mais on a un peu de mal à voir où Garrel veut en venir en montant cette séquence en regard des deux autres. Ce n'est pas le poème fumeux qu'il nous sert en introduction qui vient éclairer quoi que ce soit. Sûrement qu'il a retrouvé ces bouts de pellicule au fond de son grenier, et qu'il s'est dit que ça pourrait faire un film valable pour pas trop d'efforts. Valable, oui, on va dire ça pour être sympa.
Garrel soûle ou envoûte ici