Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard d'Alain Fleischer - 2009
Quand on rentre dans la salle, on s'accroche : on a le souvenir de ces sorties verbales absconses balancées par Godard dans les années 90, et on tremble d'être largué, surtout que la mutine ouvreuse du cinoche m'a annoncé avec un sourire entendu plus de deux heures de durée de film, et qu'au générique on nous prévient fièrement de la participation de Straub, Huillet et Labarthe, pas que des rigolos. Bref, on s'attend à de l'ardu et on fait moyennement le malin.
Eh bien, Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard, c'est à peu près tout le contraire. Avec l'âge, le père JLG semble s'être calmé, et prendre tout ça (son image, son métier, le monde) avec beaucoup plus de simplicité qu'auparavant. Ce que démontrent ses films récents, dirais-je, mais ce qui avait besoin de ce documentaire pour être confirmé. La parole est la plupart du temps simple, claire, dépourvue de ces formules parfois sybillines du passé (ou s'il en balance encore une, c'est en se marrant comme un gosse), mais jamais assagie : elle est franche et tranchante, et ne s'embarasse pas de pincettes. La renconre de Godard avec de jeunes plasticiens vaut son pesant de skuds : le gars renvoie ces petits jeunes à leur étude du réel, et détruit en deux mots leurs ambitions. Ce pourrait être considéré comme facile si Godard n'avait pas en gros la même posture face à de purs intellos comme Straub (qu'il regarde à moitié assoupi en bouffant son cigare), Akerman (qui en prend pour le coup plein la tête), et surtout toute cette clique d'écrivains, journalistes et critiques de cinéma qui tentent de percer le mystère JLG. Si Païni arrive à faire accoucher le sieur de ses plus profondes réflexions, les autres sont systématiquement contredits par un Godard souvent d'une mauvaise foi totale, qui prend des airs affligés devant l'incompréhension de ses contemporains. Le film s'organise autour de cette exposition avortée à Beaubourg, et on sent bien que Godard en a effectivement un peu marre d'avoir à s'expliquer toujours et à jongler avec les lois du monde d'aujourd'hui : ce film affirme une nouvelle fois l'immense isolement de JLG, et l'impossibilité pour le monde de l'accepter pleinement.
On assiste à différentes rencontres de Godard en vue de cette expo, et le gars sait parfaitement rendre compréhensible sa recherche sur le réel, avec de fréquents retours vers le cinéma qu'il aimait (il parle de Edgar Ulmer comme si ça allait de soi), le cinéma qu'il fit (la Nouvelle Vague est toujours très présente), et le cinéma qu'il voit aujourd'hui (dont il ne sauve que Invincible de Herzog, en gros). Quelques séquences sont plus que précieuses : les scènes de Godard enfermé dans son atelier-studio invraissemblable, à la recherche d'un morceau de VHS sur laquelle on verrait un mariage ou une danse, emmêlé dans ses problèmes techniques ; les nombreux extraits de Vrai Faux Passeport, dans lesquels il décerne bons et mauvais points aux films (Lanzmann-Akerman, 1-0); l'hommage tourmenté de Straub qui rappelle que Godard sait faire 4 films avec le budget d'un seul ; et surtout une dernière séquence au centre Pompidou, où le gars erre dans les bribes de son expo annulée : une vraie peine vient imprimer ces images, un abandon, une amertume d'être définitivement incompris, qui le mène presque au bord des larmes quand il réfléchit à sa manière d'affronter le réel et la poésie. Face à un intervieweur qui cherche à le faire accoucher d'une pensée complexe, il ne répond que par des mouvements d'épaules impuissants ou par des phrases d'impuissance ("ça, ce sont juste des écrans dans des arbres... Scorsese ne pourrait pas faire ça...")
On a reproché à Fleischer d'être un peu plat dans le filmage : c'est vrai, mais on s'en fout, se contentant sans problème de ces longs plans sans ambition sur Godard qui parle. On lui a reproché de ne pas donner une bonne image de Godard, le laissant s'enfoncer dans ses contradictions : c'est vrai, et tant mieux, ce serait bien le comble de n'avaor fait qu'un film énamouré, et c'est très beau de voir JLG couper la parole plutôt que d'avoir à l'affronter, servir des contre-vérités ou perdre pied devant ses erreurs ("la plupart de mes films sont des films de voyant ; quelques plans, les plus beaux, sont des plans d'aveugle. Le cinéma devrait toujours être "comme la première fois", réalisé par des aveugles", de mémoire). Le seul reproche, bien excusable au demeurant, qu'on puisse faire à Fleischer, c'est d'avoir abordé son sujet comme s'il allait interroger un mythe, une icône, une légende : Godard y apparaît comme un homme simple, définitivement hanté par un art perdu et s'étant débarrassé de tout l'inutile. Déception évidente chez Fleischer et ses amis, admiration totale pour le spectateur qui assiste aux derniers actes d'un génie plus abordable qu'il n'y paraît.
God-Art, le culte : clique