La Route du Tabac (Tobacco Road) (1941) de John Ford
J'ose le reconnaître d'entrée de jeu : bien qu'il s'agisse tout de même d'un film de John Ford, ma curiosité pour cette oeuvre était surtout due à la présence de Gene Tierney pour laquelle j'avoue avoir quelques faiblesses... De ce point de vue, faut avouer qu'on n'est pas vraiment à la fête et ce malgré son nom cité en troisième dans le générique. La pauvrette endosse le rôle d'une sauvageonne avec à peine deux séquences et trois répliques et malgré ses poses alanguies qui ont de quoi rendre une affiche attractive, on ne peut point dire qu'elle ait grand-chose à jouer. Une fois qu'on en prend son parti et décide de faire l'impasse sur celle-ci, on demeure assez éberlué devant ce film complètement azimuté. Le pitch de départ est clair : une famille de paysans sans un radis tente de couler ses derniers vieux jours sur un terrain qui ne lui appartient même plus. Il lui faut trouver 100 dollars dans les deux jours, à moins de se retrouver expropriée. Cela posé, on ne peut pas vraiment dire que cela donne le ton du film. En fait le pater familias, Jeeter Lester (inénarrable Charley Grapewin) qui vit dans une baraque décatie avec sa femme, sa grand-mère (qui fait une brève apparition avant de disparaître, sans que cela inquiète le Jeeter outre mesure) et deux de ses dix-huit enfants, n'est pas vraiment du genre ultra speedé. Certes, le fait de se retrouver dans la "ferme des pauvres", à quelques kilomètres de là, l'inquiète un tantinet vu qu'il faut se laver avant d'avoir le droit de manger, mais il ne se bouge guère pour faire vraiment avancer les choses; il va bien tenter de chourer une voiture pour la revendre mais ce sera bien le seul effort qu'il consentira; voilà j'allais dire pour l'essentiel de l'intrigue. Là où on est surtout cueilli à froid, c'est que tous les personnages de ce récit hurlent comme des dingues, parlent dans un patois auvergnat du coin et semblent constamment sous acide - fermier ou A.O.C. Jeeter tient le crachoir et la vedette, mais la Soeur Jessie qui hurle des chansons du matin au soir et surtout le fils de Jeeter, Dude (William Tracy, un type qu'il fallait enfermer) qui passe sa vie à imiter le klaxon des voitures et à tenir des propos hystériques touchent au délire pur. Ces deux derniers malgré une différence d'âge d'au moins 25 ans (elle en a 38) établissent le record du pliage de bagnole dans un film. Sitôt la caisse achetée, ils foncent comme des dingues aussi bien sur la route que dans les arbres ou dans les haies... Vous allez peut-être me dire que je déconne un peu avec ma chronique, mais franchement penchez-vous sur ce film et vous allez comprendre ce dont il ressort. C'est un peu le "paysan au bord de la crise de nerf" version John Ford. J'avoue que j'en suis encore un peu pantois tant le film part dans tous les sens entre le grand n'importe quoi - le type qui fonce tête baissé dans une haie, franchement ça surprend - et la philosophie peinarde de ces paysans branleurs - "ok, je vais me mettre au travail la semaine prochaine". On peut vite s'en lasser en trouvant que les traits sont forcés à mort comme on peut apprécier ce délire du père Ford après un gros buzzzzzzzzz. Je reste tout de même un poil sceptique pour ma part.