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19 avril 2009

La Frontière de l'Aube de Philippe Garrel - 2008

vlcsnap_58594Les critiques se sont déchaînées à propos de ce nouveau Garrel, ce qui prouve bien que le pluriel ne vaut rien à l'homme : La Frontière de l'Aube est un film magnifique, justement en-dehors de tout jugement en ce qu'il trace sa route en solitaire total, en se foutant complètement de ce qu'on en dira. Garrel y réalise une énième introspection douloureuse, chose qu'il a plus ou moins réussie par le passé ; il le fait cette fois avec l'incandescence de ses meilleurs jours, livrant un film bancal et maladroit, et peut-être justement beau pour ça.

Si on voulait être pédant, on dirait comme les Cahiers qu'on a affaire là à un grand film "malade". Tout n'est pas bon dans La Frontière de l'Aube. Il y a même, en plein milieu, des scènes franchement ridicules, celles où Laura Smet est enfermée dans un asile de série B et y vlcsnap_64764subit des électrochocs : c'est ringard en diable, démodé comme c'est pas permis, et dans sa volonté d'être au plus près de la douleur Garrel ne se rend pas compte de cette dérive kitsch, filmant ça avec une gravité gênante. De même que ce rêve improbable où les personnages, habillés en prince charmant et en Blanche-Neige de bal masqué, vivent un amour loin de tout : c'est une mauvaise idée, tout simplement, et ça entraîne le film vers un côté "Mocky" poilant. Mais ces scènes (et quelques autres vraiment nazes) sont le résultat d'une sorte d'état des lieux du cinéma de Garrel : il tente de faire le lien entre son cinéma expérimental des années 68, qui n'était pas avare en séquences ridicules, et le cinéma psychologique des dernières années. Pas étonnant donc qu'il y ait à boire et à manger dans cet ambitieuse volonté, et ces scènes ratées sont presque aussi belles finalement que les autres (mauvaise foi, quand tu nous tiens).

vlcsnap_40875Parce qu'à côté de ces passages, il y a la fièvre toujours véhémente d'un cinéaste toujours pas assagi. Le film brûle par tous les côtés, fait dans l'urgence de la peine, dans ce désir de dire les choses directement, avec foi et naïveté. Le cinéma de Garrel s'est merveilleusement renouvelé avec l'arrivée de nouveaux acteurs, depuis Le Vent de la Nuit, et celui-ci est l'aboutissement de ce nouveau regard. Pour parler de lui, Garrel donne la place à la jeunesse, et surtout à son fils. Il est de bon ton de douter du talent de Louis Garrel : il est proprement extraordinaire dans ce film, une profondeur et un naturel qui ne gomment jamais la fantaisie et l'originalité de son jeu. C'est lui qui tient en grande partie la beauté du film, et tout autre à sa place aurait laissé tout ça sombrer dans le fumeux. Louis Garrel est un poète, oui messieurs-dames. Toujours à trois millimètres de son visage, Garrel père le regarde fasciné prendre sa place, endosser ses douleurs et ses doutes, et c'est sublime à contempler.

vlcsnap_24233Face à lui, Laura Smet est bonne une scène sur deux : splendide dans les gros plans où elle n'a "rien à faire", elle est mauvaise dans toutes les scènes où elle doit agir, que ce soit en buvant du gin ou en avalant des médicaments. C'est une actrice de visage, qu'est-ce que vous voulez. C'est vrai que la donzelle n'a peut-être pas la photogénie des grandes héroïnes garreliennes ; mais celui-ci tente quand même de nous refaire le coup des Hautes Solitudes en la regardant simplement être, dans la durée, et réussit souvent. Le couple tient la route, uniquement parce que la caméra ne les lâche pas d'une semelle, les cadre au plus près, évacuant les autres personnages dans le hors-champ, simple présence sonore. L'intimité explose dans La Frontière de l'Aube, le quotidien d'un couple banal aussi bien que les états de crise de deux écorchés vifs.

vlcsnap_72254Il est question dans le film du renoncement, comme dans Les Amants Réguliers, mais cette fois la politique est (pratiquement) laissée de côté. François aime Carole, star de cinéma suicidaire (et le fantôme de Nico est encore une fois bien présent); quand il la quitte, elle se suicide ; il reconstruit sa vie sur des bases plus saines avec une jeune fille bien, et il est rongé par le doute : a-t-il envie du bonheur bourgeois après avoir frôlé la folie, la révolte, l'amour fou ? On imagine bien Noir Désir faire une chanson là-dessus. Garrel aborde le sujet frontalement, sans pincettes : si François est hanté par Carole, il la fait apparaître dans les miroirs, comme dans un film de Cocteau ; s'il veut parler de l'infidélité, il écrit un dialogue direct, très simple, et boucle sa scène en trois secondes. Le rythme est impeccable, porté par le montage au taquet du grand Yann Dedet, et le scénario mène ses héros vers leurs destin en un seul trait droit. Le film vlcsnap_55074est une symphonie de respirations, de halètements, de minuscules bruits intimes, magnifiés par un noir et blanc extraordinaire qui en augmente l'intensité. On a l'impression d'être au plus près de cette histoire d'amour éternel, filmée avec colère et désespoir par un Garrel pourtant étrangement serein. Une page semble être tournée, même si tout ça se termine dans le drame romantique de la plus belle eau. Il y a du Eustache là-dedans, du Pialat aussi, et puis un peu de cette poésie à la Franju ; il y a surtout du Garrel au sommet.

Garrel soûle ou envoûte ici

Commentaires
S
"magnifiés par un noir et blanc extraordinaire" : il faudrait un jour s'amuser à coloriser les films de Garrel, on verrait ceux qui tiennent encore. Heureusement que le bellissime Louis me rappelle une antique bromance et qu'il est plutôt (et assez naturellement) bon, parce que si la petite Laura a effectivement le fascinant "jeu de visage" d'une sculpture de Bourdelle, dès qu'elle s'anime l'idole marmoréenne se change en automate guignolesque.<br /> <br /> <br /> <br /> Pialat et Eustache ? Oh non...<br /> <br /> <br /> <br /> Emil dit qu'on se tue toujours trop tard. Oui, au bout de cent minutes c'est déjà un peu long.
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G
Ah je vois que vous n'êtes pas encore au fait de la figure de style qu'on nomme "La Contradiction Shangolienne". Elle consiste à pratiquer une mauvaise foi exagérée en direction des cinéastes qu'on aime, et de dire pendant 30 lignes "c'est tout pourri" avant de conclure par : "c'est un chef d'oeuvre". Ceci dit, oui, je trouve que ce film est bancal et maladroit, mais très attachant. D'où...
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D
Vous dites que l'auteur nous livre «un film bancal et maladroit», un grand film «malade», mais que c'est magnifique...<br /> <br /> <br /> <br /> Autrement dit, un chef-d'oeuvre à la frontière de la daube...<br /> <br /> <br /> <br /> Je crois que je vais relire le poème de Parménide pour tirer cela au clair!
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