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Shangols
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8 avril 2009

Entre les Murs de Laurent Cantet - 2008

18936917_w434_h_q80Je me souviens d'avoir été à l'époque très déçu par le bouquin de Bégaudeau, voire franchement enervé devant ses postures réactionnaires. Le film de Cantet, c'est la première surprise, le prend presque à revers, malgré la présence de l'auteur en personnage principal. Là où le livre se montrait supérieur par rapport à ses personnages d'élèves, Cantet s'en approche en douceur, presque avec respect, avec tendresse et vigilance en tout cas ; là où le livre accusait la démission des profs, Cantet filme un homme ordinaire aux prises avec des ados ordinaires, transformant la supériorité de dandy en maladresse touchante ; là où la critique du système scolaire tendait au moralisme dans le livre, Cantet ôte tout manichéisme à son film, et plutôt que de renvoyer tout le monde dos à dos, réunit l'ensemble de ses personnages, jeunes et adultes, dans la même galère.

18829072_w434_h_q80Apprendre, transmettre, gérer, argumenter : la mise en scène de Entre les Murs est magnifique dans cette façon de rendre concret le flux de la parole. Je m'y attendais, mais il y a quelque chose de Kechiche dans ces scènes hyper-dynamiques qui constituent 99% du film, et où la parole circule, passe de l'un à l'autre, rebondit, échappe au contrôle. C'est bien de verbalisation dont il est question, des mots qui dérapent, qui mentent, qui touchent, dont on se sert comme d'une arme ou comme d'un outil de propagande. Avec ses gros plans superbes et sa façon de surprendre chaque protagoniste par le cadre, le film dynamite les plats champs/contre-champs habituels. Même si l'esthétique rappelle un peu trop les éternels reportages pris sur le vif, Cantet réussit parfaitement à imposer à sa réalisation les mêmes rythmes que ceux de la parole. Et ça fuse, aussi bien de la part de ce prof de français pratiquement en guerre contre la mauvaise utilisation des mots, que des élèves, brillants, très pertinents, qui remettent souvent en cause, en trois mots, des évidences qu'on pensait définitives. Les comédiens y sont pour beaucoup aussi, ils sont franchement étonnants de naturel.

18990360_w434_h_q80Le film est amer, certes, montrant une école difficile à envisager, pleine de combats, de luttes journalières. L'enseignement s'y fait aux forceps, à force de patience, de compromis et de pétage de plombs. Cantet n'évacue nullement les problèmes, tous sont présents ; mais, contrairement au livre, il sait aussi montrer la beauté des choses, des visages, des bribes de savoir qui passent. Il sait être drôle, positif, il sait aimer ces fameux "jeunes défavorisés", sans jamais tomber dans la condescendance sarkozyste de bas étage. Le film aime les gens, ce qui n'est pas dommage, et les aime sans mièvrerie, avec justice et équité. Petit à petit, la transmission se fait, dans la douleur, mais elle se fait. Les dernières scènes mêlent parfaitement toutes les données : les élèves ont appris des choses, ont finalement passé un bon moment, mais en même temps une gamine qu'on n'avait jusque là même pas remarquée (c'est toute la beauté de cette séquence poignante) vient opposer son incompréhension au milieu de la fête : elle n'a rien appris, ne comprend pas ce qu'elle fait là, et on mesure toute l'étendue parfois de l'échec des profs.

entre_les_murs_hautAlors bien sûr, ce n'est pas un film qui va révolutionner quoi que ce soit. C'est presque un film sans message, sans réflexion, qui montre simplement la vie comme elle va, qui montre des êtres humains qui vivent ensemble et c'est tout. On a droit bien entendu à toutes les scènes obligées, elles sont toutes là, et Cantet a un peu trop tendance à vouloir à tout prix scénariser son film (on suit en particulier le destin d'un gamin un peu rebelle et ingérable). Mais à la place du discours, on a droit à une émotion constante, à un regard franc et simple sur les gens, à un constat sans bilan, qui finit par emporter le morceau. Une subtilité et une force qui font oublier les petits défauts.  (Gols 01/10/08)


Pas grand-chose à ajouter à cet excellent billet de l'ami Gols (un peu d'autocongratulation, on peut se le permettre de temps en temps, après tout) qui résume parfaitement mon impression d'ensemble. Certes, comme il le souligne, on est plus dans le constat que dans le brulôt - rien de révolutionnaire, bien vrai - mais la mise en scène ultra fluide de Cantet nous plonge dans cette "vie de classe" avec un certain brio. Belle patience, belle pugnacité de Bégaudeau qui s'accroche à son sacerdoce avec une vraie passion (je peux guère comparer entre_les_murs_15_10_2008_2_gavec ma propre expérience vu que j'ai en face de moi, généralement, que des Wai) et qui tient bon le cap malgré quelques petits dérapages incontrôlés pour ne pas dire incontrôlables - dur de se retrouver sur le banc des accusés pour avoir utilisé en classe le mot "pétasse" quand on se fait impunément traiter "d'enculés"; mais justement, le parallèle entre le fait de se maîtriser et de maîtriser le langage n'en est que plus évident, et il s'agit, au final, d'une belle leçon d'apprentissage, dans un film où souffle un vrai vent de jeunesse. (Oui, bon, je me fais guère prolixe, ayant beaucoup de retard après une panne d'ordinateur... Les aléas du direct...).  (Shang 08/04/09)

Commentaires
M
Un bon film, sans plus, à mettre en parallèle avec "L'année de la jupe". De là, à lui filer la Palme d'or à l'unanimité, alors qu'il y avait Desplechin, et "Un conte de Noël", avec sa famille barzingue, ses personnages bien azimutés, c'est autre chose qu'une année dans la classe de professeur Bégaudeau et de ses élèves. C'est pas la première fois que le jury s'enfonce le doigt dans l'oeil jusqu'au pylore. En 1986, le jury a carrément foutu un coup dans la gueule à Tarkovski et à son génial "Sacrifice". Pour quoi ? Pour "Mission", film vite vu, vite oublié.
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