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REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
16 mars 2009

Le Joueur de Flûte (The Pied Piper) de Jacques Demy - 1972

9782081217577The Pied Piper est un film très attachant qui donne presque l'impression que Peau d'Ane n'était qu'un brouillon des possibilités de Demy à rendre puissant un simple conte pour enfants. Ce film est privé de toutes les niaiseries de son prédécesseur (j'exagère : Peau d'Ane est intéressant), et prend même des allures de pamphlet politique assez étonnant. Dès le début, on sent le resserrage de vis de Demy : une photo beaucoup plus réaliste, malgré des costumes pleins de fantaisie (respect aux chapeliers, qui ne sont pas avares en imagination tordue), un ancrage dans la réalité du Moyen-Age beaucoup plus poussée, on sent que ça va moins rigoler. Et ça se confirme avec un arrière-plan bien sombre : ça se passe en pleine Peste Noire, ça meurt dans tous les coins (un des premiers plans montre un squelette tout à fait horrible), on est loin du conte de fées.

Ca se confirme avec l'arrivée des héros (une troupe de théâtre chamarrée) à Hamlyn, petite ville épargnée pour l'instant par l'épidémie, mais qui remplace ce Mal latent par d'autres calamités beaucoup plus pied_20piper_20PDVD_009concrètes : la soif de l'or d'un baron sans pitié, la "vente" d'une enfant à son fils pour raison de dot affriolante, un bourgmestre confit dans sa lâcheté petite-bourgeoise, et un clergé vengeur et violent qui mène tout ça à la baguette. Le monde décrit ici par Demy est effrayant, et toutes les couleurs du monde n'y changent rien. Il continue pourtant à croire à une certaine innocence, en la personne d'un vieux scientifique juif tout gentil, et surtout grâce à la présence de l'Artiste dans la ville (Donovan en musicien, un jeune gars féru de peinture ou une compagnie d'acrobates assez baba-cools). Le film ne va cesser de faire le balancier entre cette beauté simple de l'artiste et cette violence sourde des institutions, ça fonctionne très bien. Donovan s'avérant être un comédien minable, Demy privilégie des trames secondaires qui sont bien plus intéressantes : John Hurt en salaud qui rêve d'asservir sa jeune épouse, Donald Pleasance (excellent) en mégalomane aveuglé par la richesse.

pied_piper_420Cette dualité trouve son apogée dans la plus belle scène du film, impressionante de dégoût et de brutalité. En pleine fête de mariage, on apporte un gâteau démesuré ; on entend un petit craquement, et soudain la pâte se fissure, et le gâteau s'effondre sous la pression de dizaines de rats planqués à l'intérieur ; le tout sous le regard hagard d'une jeune fille qui perd soudain toute son innocence. Tout le cinéma de Demy est là, dans cet émerveillement qui se craquelle, dans cette brusque poussée du Mal au sein du plus naïf des tableaux. Par cette seule scène, il met à jour une société odieuse et une vision du monde définitivement désespérée.

Désespérée jusqu'à un certain point : Demy continue à croire à quelques valeurs, l'art, l'enfance, la nature. Le célèbre ensorcellement des enfants par le joueur de flûte, qui a déclenché tant de lectures differentes pied_20piper_20PDVD_008chez les psys, est ici envisagé comme une libération. Le musicien sauve clairement les enfants en les éloignant de la peste et surtout de la corruption de la société. Très joli montage entre un vieux savant brulé au bûcher et cette bande de mômes disparaissant dans la jolie campagne allemande. Un montage qui tranche avec le reste du film, constitué de savoureux longs plans mobiles qui mettent en valeur la beauté de la reconstitution, l'ampleur des décors et le faste de la photo. La fin est très étrange, loin de toute morale bénie-oui-oui : les bons sont écrasés, les méchants impunis (à part ce pauvre Hurt), et les artistes sont contraints de fuir cette société honnie : quand on ne peut pas changer le monde, mieux vaut le fuir, dont acte. The Pied Piper est un très beau film sur la perte de l'innocence, amer et fermé, et Demy est grand.

Tout Demy : clique

Commentaires
C
Bref, c’est complètement nul. Le film ose se terminer par un vers du poème de Browning, alors comparons le film et le poème et pleurons un bon coup.<br /> <br /> <br /> <br /> Les rats <br /> <br /> <br /> <br /> Film : Des comédiens en carriole font une pause et rencontrent un joueur de flûte sans charisme et un pèlerin cul-béni pénible) se termine par la découverte d’un cadavre et de rats. Mais la scène est super molle et très platement jouée, comme tout ce qui va suivre. Il y a trois pauvres souris tranquilles sur une table, c’est affreux. <br /> <br /> Dans tout le reste du film, jamais les rats ne seront inquiétants. Sans doute parce que Demy n’a pas réussi à les faire jouer aussi bien qu’Hitchcock a fait jouer ses oiseaux (il fallait mieux les payer), un personnage nous précise bien que ce sont des rats noirs, les seuls qui ne mordent pas. On ne verra donc que de petites souris plutôt lentes et inoffensives, indifférentes aux hommes ; oui d’accord elles sont dans la nourriture, mais rien de très effrayant à l’image (la scène du gâteau n’est pas si mal mais elle est très prévisible : dès qu’on a des gros plans du gâteau, on se doute que c’est pour qu’un rat en sorte). Ils promènent quand même la peste avec eux, ce que sait toute la population sauf les religieux. Il faut avoir très peur des rats pour trouver ceux du film impressionnants. Jamais Demy n’invente de plans serrés inquiétants ou de plans larges cauchemardesques pour les évoquer. Je parie que c’est une des raisons pour lesquelles les scénaristes ont introduit la peste : pour qu’il y ait un vrai danger lié à ces petites souris.<br /> <br /> <br /> <br /> Poème : Il n’y a pas besoin de peste, les rats suffisent bien comme menace car c’est tout le contraire du film, ils sont extrêmement agressifs et violents : dès le début, ils combattent les chiens et tuent les chats ! Ils percent les tonneaux et mordent les bébés dans leur berceau, etc. C’est autrement plus flippant que trois souris sur une table. C’est aussi sûrement moins réaliste mais c’est ça le cauchemar.<br /> <br /> <br /> <br /> Le joueur de flûte <br /> <br /> <br /> <br /> Film : C’est un jeune homme complètement quelconque qui se promène, il a un chapeau quelconque, contrairement à tous les autres, un visage et une présence tout aussi quelconques. Il est habillé comme les autres en marron sale, donc il n’a rien de « pied », ce piper, on n’a pas eu ce qu’on nous a vendu. Dès le début, il sauve une jeune fille de la maladie, ce qui épate tout le monde sauf le spectateur, car un savant juif, dont tout clignote autour de lui pour signaler son savoir et son talent, a dit que c’était juste « un peu de fièvre ». Génial, à quoi bon ce pseudo-miracle par le joueur de flûte ? Par ailleurs, il est toujours bon avec les gentils (la troupe de théâtre et l’apprenti boiteux). Bref, il se révèle bon, humain et généreux (« au bout de deux jours, plus personne ne pouvait le supporter » continuait Catch-22, moi c’était au bout d’un quart d’heure)<br /> <br /> <br /> <br /> Poème : Rien à voir. Son vêtement et son écharpe sont bariolés eux, sa peau est mate et son origine inconnue, impossible à deviner, mystérieuse. Il est allé dans des contrées lointaines pour les libérer de monstres et on l’attend le soir même à Bagad... Il a des sourires qui vont et viennent sans explication. Il n’a aucune relation avec le peuple et avec les enfants avant de les enlever, donc on n’a jamais l’occasion de faire preuve de bonté, ce qui justifie l’angoisse de leurs parents lors de l’enlèvement. Bref, il est hors de ce monde et autrement plus fascinant que le semi-clochard du film. <br /> <br /> <br /> <br /> La musique<br /> <br /> <br /> <br /> Film : Très simple et banale, même pas étrange, voire atonale, elle échoue complètement à faire ressentir le caractère merveilleux de la guérison, de l’extermination des rats (ils marchent dans la même direction et c’est tout), de l’enlèvement des enfants.<br /> <br /> <br /> <br /> Poème : Browning est avantagé de ne pas avoir à créer de musique mais il décrit l’effet sur les rats de multiples manières, d’abord par la manière dont leur comportement, leur trajectoire et leur vitesse changent. Et puis dans un grandiose moment de fantaisie au milieu de l’hécatombe, il fait survivre un rat qui parvient à nager et rapporter ce qu’il a vécu à « Rat-land » et décrit à ses congénères (et donc au lecteur) ce qu’il a ressenti.<br /> <br /> <br /> <br /> Les suppressions et les ajouts du film<br /> <br /> <br /> <br /> Le plus désagréable est la vision du peuple et juste après mai 68, ça fait rêver. Dans le film, constatant la nullité de son élite, le peuple… lance des choux. Ouais, c’est tout. Les seuls habitants de la ville qui existent un peu sont des marginaux (le savant juif et son apprenti), pas du tout représentatifs du peuple. Dans le poème, le peuple a droit à la parole, il est exigeant, plein de bon sens et d’humour : « on vous vire si vous n’êtes pas fichus de nous sauver ! » (pour résumer).<br /> <br /> <br /> <br /> Beaucoup de ce que Demy a inventé ne sont que des clichés sur le Moyen Âge. Il y a tout ce qu’il faut : la peste (1349 en Europe, c’est comme 1929 à Chicago, comme le titre humoristique au début de Certains l’aiment chaud), la religion autoritaire, inquisitrice et persécutrice (contre un Juif, ça, ça change), l’angoisse du salut éternel et l’indulgence, l’obsession de la guerre mais aussi et tant mieux, la violence et l’oppression des défavorisés. Il y a aussi la noblesse désargentée et la bourgeoisie soucieuse d’ascension sociale (en 1349 ! Ca paraît prématuré mais admettons, je n’en sais rien). Sauf que ça fait trop pour un seul film et ça reste à la fois superficiel et parfois volontairement grotesque (l’angoisse du salut par le petit gros ne peut pas être prise au sérieux). <br /> <br /> <br /> <br /> Mais le problème principal reste la pauvreté de l’histoire inventée et des personnages et du manichéisme. <br /> <br /> <br /> <br /> Cette troupe de théâtre ambulant évoque irrésistiblement celle du Septième Sceau, encore qu’elle puisse faire partie des clichés. Mais ils sont un peu âgés et on ne les voit rien faire de spécial, ni sur scène, ni en dehors. Aucune vérité. Alors que chez Bergman, Jock, son délire sur la Vierge et son jeu, c’était autrement plus drôle et touchant.<br /> <br /> <br /> <br /> Les acteurs, tous transparents, ne peuvent rien pour améliorer leur personnage caricatural de super-gentil (l’artiste, l’enfant, l’innocent, l’handicapé) ou de super-méchant (le bourgeois, l’aristocrate, le religieux, le militaire). A la fin du film, les gentils encore en vie pourront quitter la ville, les méchants périront de la peste dans leur civilisation militaire, chrétienne et bourgeoise. Le rôle de purificateur attribué à Dieu hypocritement par les religieux est finalement tenu par le film lui-même… Un seul personnage évolue, c’est le pèlerin fanatique casse-pieds rencontré au début, qui, attrapant la peste, doit bien constater l’inutilité de ses reliques qu’il savait fausses et peut-être de sa religion, ce qui est tout de même très appuyé. Le film se termine ainsi par le silence de Dieu, par quoi commençait Le Septième Sceau.
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M
Ben non, c'est pas raciste du tout... C'est le bon vieux réflexe du français gâté qui s'ennuie dans son bonheur et qui va chercher la petite bête en se fixant obsessionnellement sur un mot ou une expression, comme si ça avait une importance quelconque... <br /> <br /> <br /> <br /> Celui qui emploie le mot "raciste" à tous bouts de champs, le délavant ainsi de sa véritable signification, agit contre ce qu'il croit défendre...<br /> <br /> <br /> <br /> Par contre, le film n'est pour moi n'est pas fameux, bien inférieur à "Peau d'âne". Demy n'a pas eu le budget prévu et on sent la gène à tous moments dans le film. Ne parlons pas des personnages si faiblement esquissés et des acteurs qui cherchent à l'écran (on le voit souvent) leurs marques et vers où ils doivent se déplacer.
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G
J'ai beau la retourner dans tous les sens, je ne vois pas en quoi cette phrase est raciste... <br /> <br /> Condescendante, peut-être, si vous considérez qu'avoir écrit "simple conte" est une marque de mépris. Inexacte, peut-être, si vous considérez que ce conte n'est pas pour enfants. Mais raciste...
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T
"à rendre puissant un simple conte pour enfants" ( ! )<br /> <br /> Faut lire ça pour le croire. <br /> <br /> Vous donnez dans le racisme ordinaire, vous aussi ? ( je dis "racisme" pour ne pas dire pire.)<br /> <br /> <br /> <br /> Enfin, c'était en 2009. Vous étiez des enfants...
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C
Un des plus beaux films que je connaisse et un des meilleurs de Demy. Enchanteur et très cynique en même temps !
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