Le Bleu des Origines de Philippe Garrel - 1978
Les "origines", c'est celles du cinéma, et le "bleu" la couleur si particulière des premiers films muets ; mais il s'agit aussi des origines des amours garelliennes et du bleu naïf des premières amours. Enfin, c'est ce que j'ai compris, arrêtez-moi si je me trompe. Joli projet en tout cas, sur le papier au moins, que celui du Bleu des Origines : réapprendre l'innocence technique du filmage pour retrouver quelque chose des premiers temps, et accompagner cette histoire du cinéma par un auto-portrait intime et sentimental qui en épouse les mouvements. Garrel filme avec une caméra à l'ancienne, à manivelle, en muet, les trois femmes qu'il a aimées (Zouzou, Nico et Jean Seberg) en essayant de retrouver l'émerveillement des origines.
Une femme erre sur les toits de Paris et on songe immédiatement à Feuillade ; elle monte un escalier très géométrique et on pense à Murnau... Le petit jeu des références est agréable, d'autant que le gars le complique en mettant en scène des actrices issues de milieux différents : le cinéma underground de Zouzou, celui du pop-art de Nico, ou la Nouvelle Vague de Seberg. Le film atteint parfois son but, présenter des plans débarrassés de toute référence scénaristique, un peu comme les Lumière filmaient un train en mouvement juste pour la prouesse et la magie. Dans ces plans simples et mis bout à bout de façon quasi-aléatoire, Garrel touche parfois dans ce projet de déclaration d'amour à la caméra. C'est même dans les défauts techniques forcément liés au type d'appareil utilisé (image saturée, flous, vitesse des mouvements parfois trop rapide) que Le Bleu des Origines émeut le plus : on a l'impression d'un film amateur, qui se fiche bien de la perfection formelle si il arrive à capter un regard ou un geste précieux.
Malheureusement, il faut reconnaître aussi que c'est un peu chiant. On comprend l'importance que ce film a pour Garrel, qui doit se le passer en pleurant sur ses amours perdues (le cinéma le vrai, les femmes parties, etc.) durant ses longues nuits d'insomnie ; de là à squatter les nôtres, de nuits, il y a un pas qu'on a du mal à franchir. Garrel aurait gagné à garder cet objet conceptuel pour lui, comme un film de souvenirs, sans essayer de nous imposer ses éternelles tristesses d'homme seul qui ne nous concernent guère. Il nous refait souvent le coup de l'insupportable Les Hautes Solitudes, c'est-à-dire d'un auto-vautrage dans son propre malheur accompagné de numéros d'actrices-mannequins gavants. Sur le papier, intéressant ; sur l'écran, évitable.
Garrel soûle ou envoûte ici