Larmes de Clown (He who gets slapped) (1924) de Victor Sjöström
Après un lion de la MGM super calme (et qu'on retrouvera beaucoup plus énervé à la fin du film) et le carton de la censure du Kansas qui annonce son approbation tout en précisant que c'est au "Kansas que pousse le meilleur blé du monde" - le cinéma est une industrie... certes - on rentre dans le vif du sujet en découvrant un scientifique à la barbichette léninesque qui poursuit ses recherches sur les origines de l'homme chez un Baron. Ce dernier, derrière ses fines petites moustaches, cache bien son jeu puisqu'il piquera à la fois la femme du scientifique et ses recherches : lors d'une séance à l'Académie des Sciences, notre scientifique, effaré, assiste au pillage de ses découvertes par le Baron qui devant toute l'assistance hilare en profite même pour foutre une baffe à cet importun. Notre scientifique est dépité, dégouté de la vie et décide... de devenir clown dans un cirque (on avait encore le sens de l'absurde à cette époque, clair). Il remet en scène, littéralement, la tragédie de sa vie devant une assistance composée cette fois-ci d'une soixantaine de clowns qui vont tous foutre une baffe à notre homme avant de mimer son enterrement - le public se fend la pipe, la gifle a toujours fait marrer, il est bon de rire de la misère et de la mort des autres pour mieux oublier les siennes...
Notre clown blanc, dont la couche de maquillage n'a jamais aussi bien caché le désarroi, va tout de même faire la connaissance d'une chtite écuyère qui va recoudre le coeur en tissu sur son costume (je pense que c'est une métaphore mais laquelle?...). Malheureusement l'écuyère est éprise d'un écuyer (jolie petite scène champêtre où nos deux amoureux se bisouillent en s'offrant des colliers de fleurs) et - le sort s'acharne - est courtisée par ce même baron. Notre clown, qui n'est plus à un sacrifice près, lâchera un lion (la vengeance est un plat qui se mange cru) dans la pièce où se trouvent le Baron et le père opportuniste de l'écuyère qui vient d'offrir à l'aristo la main de sa fille... Blessé à mort dans la bagarre, notre clown parvient tout de même une dernière fois à se donner en spectacle devant un public qui se gondole : la réalité rejoint la fiction et on applaudit à deux mains devant ce clown qui nous a fait rire... jusqu'aux larmes.
Lon Chaney campe un clown blanc extraordinaire qui fait date et rarement a-t-on assisté à un spectacle qui mêle aussi joliment et intimement l'aspect drolatique et absurde de nos petites vies et le drame des déceptions amoureuses. Vampé par son propre personnage, notre clown ne parvient plus à être pris au sérieux même lorsqu'il déclare sa flamme à cette petite écuyère bien innocente. Il endosse malgré lui ce rôle derrière lequel il cache ses blessures et "joue" jusqu'au bout, à la perfection, la tragédie de sa vie, de la vie. Il y a entre les séquences des petites saynètes où un clown fait tourner un ballon qui se transforme en globe terrestre et, vers la fin du film, une assemblée de micro-clowns se rassemble autour du globe avant de balancer "par dessus bord" le pauvre cadavre de notre clown... La Terre continue de tourner et the show must go on... "Rira bien qui rira le dernier" était la morale annoncée au départ mais c'est au final une authentique sensation de tristesse qui finit par nous saisir. Sjöström sait, décidément, diaboliquement mettre en scène le cirque des émotions humaines.