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3 mars 2009

Model Shop de Jacques Demy (1969)

modelshopdemypngVarda, dans Les Plages d'Agnès, regrettait qu'elle et Demy soient passés à côté de mai 68, étant occupés aux States. Je veux pas être méchant, mais il semblerait bien que Demy soit également passé à côté du cinéma cette année-la. Model Shop est d'une fâdeur d'autant plus cruelle que le film vient juste après l'émerveillement des Demoiselles de Rochefort. Comme timoré, Demy approche du bout des lèvres le cinéma américain qu'il lorgnait depuis tant d'années, affadissant ses couleurs, son scénario, ses personnages jusqu'à l'impersonnalité, là où on attendait une surenchère.

Ses comédies musicales rendaient hommage à Hollywood ; son film américain est tourné vers l'Europe, comme si le bon Jacques ne savait pas trop sur quel pied danser, quelle nationalité revendiquer. On pense souvent aux expérimentations d'Antonioni dans cette errance sur 24 heures d'un jeune gars désoeuvré dans les rues de Los Angeles. Le rythme est allangui, l'ambiance légèrement psychédélique, le sujet réduit à la portion congrue : Demy semble revenir à son style La Baie des Anges, comme si entre temps il n'avait pas Sans_titreréalisé les deux plus beaux films du siècle. C'est étrange d'ailleurs de le voir revenir à ses premiers films, comme pour se protéger de cette culture américaine qu'il ne comprend pas, qu'il voit par le petit bout de la lorgnette. Il reprend le personnage de Lola, aussi déracinée et mal à l'aise que lui au milieu de cette société de consommation désespérée, et la fait évoquer la Jeanne Moreau de La Baie des Anges, comme un refuge. Pour se donner quand même bonne figure, il fait mine de s'intéresser à l'actualité du pays, guerre du Vietnam, légalisation de la marie-jeanne, montée du mouvement hippie, mais il le fait anecdotiquement, sans en ressentir les enjeux : le tout sert d'arrière-plan plus que de sujet, à l'image de cette musique mochasse qu'il choisit, un truc genre Pink Floyd cheap qu'il n'aime visiblement pas beaucoup. De toute façon le son est immonde, ce qui est bien le comble dans un film de Demy (à moins que ce ne soit la copie ?) : la plupart des scènes sont accompagnées par une sorte de bruit de chalumeau, ou de type qui souffle dans un tuyau, et on se demande bien d'où ça sort. A mon avis, il a voulu faire un son "urbain", genre voitures qui passent sans arrêt, ou avion qui décolle (pour évoquer le départ de Lola), mais il rate complètement l'effet : ça handicape complètement le film.

49429a514822fQuelques idées quand même : la transformation de la charnelle Lola en pure image fantasmée, la belle étant devenue mannequin à la merci des photographes dans une boîte minable ; une façon de filmer la ville très désincarnée, ses plans documentaires ressemblant à d'arides prises de vue de quartiers délabrés ; et une Anouk Aimée assagie, comme fatiguée, qui prolonge bien son personnage passé. A part ça, ça ressemble à un Blow Up du pauvre, aussi moche mais moins profond, aussi malaisé mais moins audacieux. Jacquot viendra vite, après ça, se réfugier dans les couleurs de Peau d'Ane, et même si je ne suis pas très fan non plus de ce dernier, je ne peux que lui donner raison.

Tout Demy : clique

Commentaires
G
Oui, oui, je reconnais, Fabien, que Peau d'Ane est un très beau film. J'ai juste eu un peu de mal avec cette naïveté à tout crin, qui m'a semblée trop poussée dans ce film-là, alors que l'équilibre était si juste dans Les Parapluies et les Demoiselles. Dans Peau d'Ane, il y a juste une louche de trop, qui fait parfois tomber le film dans le ridicule. "Parfois", je dis bien : l'essentiel reste précieux, bien sûr. <br /> Bref, difficile de mettre des mots là-dessus, Demy flirte tellement avec le kitsch qu'il y tombe de temps en temps.<br /> Merci pour vos encouragements, revenez quand vous voulez !
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F
Je suis d'accord sur votre vision de Model Shop. <br /> Malgré tout, moi qui suis fan de Peau d'âne depuis mes premières années, vous sous-estimez, me semble-t-il l'importance de ces couleurs, radieuses dans ce dernier.<br /> En effet, le rêve apporté par Peau d'âne grâce à Jacques Demy reste pour moi un des instants les plus beaux du cinéma. Souvenez-vous de cette femme qui lit cette lettre ouvert à Jacques demy, sur sa tombe dans l'univers de Jacques Demy d'Agnès varda. Celle qui reconnaît que tout a commencé là, dans ce film. Cette magie, cette naïveté de l'enfance. Ce choc, je me dis aussi parfois, ce traumatisme.<br /> Ses imperfections ne lui donnent que plus de prix à mes yeux.<br /> Nous pourrions en parler pendant des heures, alors dites-moi, comment peut-on ne pas être inconditionnel de Peau d'âne?<br /> Merci encore pour votre site qui est tout à fait exceptionnel.
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