Model Shop de Jacques Demy (1969)
Varda, dans Les Plages d'Agnès, regrettait qu'elle et Demy soient passés à côté de mai 68, étant occupés aux States. Je veux pas être méchant, mais il semblerait bien que Demy soit également passé à côté du cinéma cette année-la. Model Shop est d'une fâdeur d'autant plus cruelle que le film vient juste après l'émerveillement des Demoiselles de Rochefort. Comme timoré, Demy approche du bout des lèvres le cinéma américain qu'il lorgnait depuis tant d'années, affadissant ses couleurs, son scénario, ses personnages jusqu'à l'impersonnalité, là où on attendait une surenchère.
Ses comédies musicales rendaient hommage à Hollywood ; son film américain est tourné vers l'Europe, comme si le bon Jacques ne savait pas trop sur quel pied danser, quelle nationalité revendiquer. On pense souvent aux expérimentations d'Antonioni dans cette errance sur 24 heures d'un jeune gars désoeuvré dans les rues de Los Angeles. Le rythme est allangui, l'ambiance légèrement psychédélique, le sujet réduit à la portion congrue : Demy semble revenir à son style La Baie des Anges, comme si entre temps il n'avait pas réalisé les deux plus beaux films du siècle. C'est étrange d'ailleurs de le voir revenir à ses premiers films, comme pour se protéger de cette culture américaine qu'il ne comprend pas, qu'il voit par le petit bout de la lorgnette. Il reprend le personnage de Lola, aussi déracinée et mal à l'aise que lui au milieu de cette société de consommation désespérée, et la fait évoquer la Jeanne Moreau de La Baie des Anges, comme un refuge. Pour se donner quand même bonne figure, il fait mine de s'intéresser à l'actualité du pays, guerre du Vietnam, légalisation de la marie-jeanne, montée du mouvement hippie, mais il le fait anecdotiquement, sans en ressentir les enjeux : le tout sert d'arrière-plan plus que de sujet, à l'image de cette musique mochasse qu'il choisit, un truc genre Pink Floyd cheap qu'il n'aime visiblement pas beaucoup. De toute façon le son est immonde, ce qui est bien le comble dans un film de Demy (à moins que ce ne soit la copie ?) : la plupart des scènes sont accompagnées par une sorte de bruit de chalumeau, ou de type qui souffle dans un tuyau, et on se demande bien d'où ça sort. A mon avis, il a voulu faire un son "urbain", genre voitures qui passent sans arrêt, ou avion qui décolle (pour évoquer le départ de Lola), mais il rate complètement l'effet : ça handicape complètement le film.
Quelques idées quand même : la transformation de la charnelle Lola en pure image fantasmée, la belle étant devenue mannequin à la merci des photographes dans une boîte minable ; une façon de filmer la ville très désincarnée, ses plans documentaires ressemblant à d'arides prises de vue de quartiers délabrés ; et une Anouk Aimée assagie, comme fatiguée, qui prolonge bien son personnage passé. A part ça, ça ressemble à un Blow Up du pauvre, aussi moche mais moins profond, aussi malaisé mais moins audacieux. Jacquot viendra vite, après ça, se réfugier dans les couleurs de Peau d'Ane, et même si je ne suis pas très fan non plus de ce dernier, je ne peux que lui donner raison.
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