Un Chien andalou (1929) de Luis Buñuel
A l'origine, deux rêves de Dali et de Buñuel avec, dans chacun, ces deux images fortes : l’œil découpé et les fourmis qui sortent d'une main, deux images qui restent définitivement dans la rétine et qu'on tient à portée de main lorsqu'on tente d'évoquer ce film. Ensuite toute tentative de commentaire paraît presque vaine tant les images parlent d'elles-mêmes (je peux pas décemment mettre un lien, hum). Mais bon, sans vouloir répéter l'analyse (un max de bonus dans mon édition) très intéressante de Philippe Rouyer, tentons d'évoquer simplement notre propre impression. Il est marrant à quel point je n'ai pu m'empêcher de penser à David Lynch - et le Rouyer de conclure d'ailleurs dessus, me pique mon idée phare - à la fois dans des images chocs - cette main sectionnée abandonnée dans la rue (Blue Velvet) - mais aussi au niveau des mondes parallèles (Lost Highway...) - ce personnage, transporté d'un monde à un autre, qui meurt sur le dos d'une femme qui disparaît. Difficile de ne pas penser que la vision de ce film n'ait pas inspiré toute une conception cinématographique chez le petit père Lynch...
Il est également bien sûr question de désir - ce pétrissage de seins presque animal qu'on retrouvera dans Cet obscur Objet du Désir entre autres -, d'excitation et de voyeurisme toujours un peu malsain (une définition du cinéma?) - l'homme qui derrière sa fenêtre semble attendre avec un malin plaisir que la femme en contrebas se fasse écraser par une voiture -, ou encore d'une volonté coûte que coûte d'aller de l'avant quitte à déplacer des montagnes - l'homme qui traîne les deux prêtres attachés à ces deux immenses pianos à queue, inoubliable... Le ballet musical - le mixage de Tango et du Trisan und Isolde de Wagner - est proprement implacable (vous pouvez mettre un autre adjectif si vous voulez, l'article est ouvert), l'explosion des repères spatio-temporels est sidérant - ce vent qui souffle sur la femme qui sort de son appartement avant de la retrouver dans le plan suivant courant sur une plage -, bref voir cela au petit matin, c'est comme chercher à vouloir continuer sa propre nuit. Pour conclure (et cela saute aux yeux d'autant que j'ai vu les deux films l'un après l'autre mais je dois avouer que c'est Carrière qui met le doigt dessus dans son commentaire), Un Chien andalou s'ouvre avec un œil qu'on coupe alors que Cet obscur Objet du Désir se ferme avec une dentelle que l'on recoud : Carrière parle d'une "blessure" que l'on répare et l'on ne peut qu'applaudir à deux mains, même à une, pour faire un clin d’œil à l'écrivain fantôme qui vient de fêter ses 90 ans, devant ces deux images, le cinéaste nous ayant entre temps ouvert à son univers, nous ayant fait plonger dans son esprit bouillonnant. Sûrement le plus grand film sur les chiens. (Shang - 08/01/09)
_________________________________________________
Depuis ce texte Shang a vu Une Vie de chien (et a du coup dû démentir sa dernière phrase), depuis ce texte Carrière est mort ; mais ce qui est certain, c'est qu'il y en a un qui n'a absolument rien perdu de sa force, de son insolence et de son avant-gardisme : c'est Un Chien andalou. A le revoir aujourd'hui, on n'en revient pas de constater que nul n'est allé aussi loin que Buñuel et Dali dans le surréalisme inhérent aux rêves. Le film est directement branché sur leur subconscient le plus torve, mêlant images sexuelles et provocations de gamin, poésie lettriste et cauchemars, inquiétude latente et gros gags à deux balles. Et du coup, on a l'impression qu'il est une émanation de notre propre psyché, faites de choses glorieuses et d'autres beaucoup plus triviales, voire discutables. Les deux compères ne s'empêchent rien, ne censurent rien de ce qui fait leur mental, donnant à voir aussi bien leurs obsessions érotomaniaques que leurs tourments (qui vont en gros d'une certaine culpabilité catholique à la peur de la mort). Le pire est que tout ça fonctionne parfaitement, le talent pour mettre en image des scènes improbables étant déjà fort chez le jeune Buñuel. Un film court mais rythmé avec génie, dont franchement chaque plan imprime la rétine, dont chaque plan devrait révolter n'importe quel curé ou n'importe quel moraliste, dont chaque plan dévoile un metteur en scène génial. Toute une histoire du surréalisme en 20 minutes : immortel. (Gols - 05/12/24)
Tout Buñuel : clique