Un Conte de Noël d'Arnaud Desplechin - 2008
Que demander de plus au cinéma que ce film bouleversant, aussi génial dans son écriture que dans sa mise en scène ? Un Conte de Noël est plus que maîtrisé : on dirait une de ces grandes comédies américaines parfaites, avec en plus ici une amertume et un humour sarcastique qui renversent. L'audace du sujet, alliée à une finesse de construction et de regard, c'est l'alchimie totale.
Ce film devrait enfin mettre un terme à l'image de cinéaste intello de Desplechin. S'il est brillant dans son élaboration, il ne cesse jamais d'étonner par son aspect physique, et on a parfois presque l'impression d'assister à un film d'action plus qu'à un film de dialogues français classique. Pourtant, ça parle beaucoup, et toujours avec une acuité et une précision impeccables. Pas de non-dits ici, pas de sous-texte brumeux ou de psychologie finaude : on dit les choses directement, avec une frontalité punk. Les personnages sont hyper-épais, mais jamais Desplechin ne joue aux devinettes avec son spectateur : si une mère déteste son fils (Deneuve, décidément au sommet de son art depuis quelques films), elle le lui dit simplement, avec un sourire ; si un personnage couche avec un autre (le couple Mastroianni/Capelluto), c'est sans se cacher, avec brutalité ; si une soeur refuse de voir son frère (Consigny/Amalric), c'est face aux juges qu'elle le dit, comme une loi ; si l'héroïne est en train de mourir (Deneuve), c'est dans la clarté scientifique, dans la vérité toute nue. Le film assène des vérités sur les liens familiaux, sur l'amour, sur les rapports entre les êtres, avec droiture et franchise, et c'est le tout premier talent de Desplechin que d'avoir choisi cette écriture renversante d'urgence pour exprimer des choses aussi complexes.
Si beaucoup de films récents (surtout américains) travaillent sur l'acceptation de l'Etranger dans une cellule fermée, Desplechin prend ici le contre-pied du sujet : il s'agit dans Un Conte de Noël d'accepter un lien du sang qu'on voulait expulser, d'accepter de faire partie d'un groupe même odieux, de reconnaître la part d'"idem" qu'il y a dans l'autre. Doucement symbolique, l'histoire raconte une greffe de la moelle qui passe par une reconnaissance de la famille, du groupe : Deneuve va être forcé d'admettre le fils banni comme étant une part d'elle-même, et va même recevoir concrètement une partie de cet "autre". Magnifique traitement, que Desplechin complique en établissant tout un réseau de relations entre tous les personnages. Chacun d'eux est dessiné avec génie : on voudrait tous les citer, tant le film donne à chacun une place, une profondeur, une fantaisie, y compris les enfants, y compris les plus petits rôles (Girardot ou Devos sont franchement parmi les plus grandes réussites du film). C'est rapide, pressé, urgent, et pourtant ça laisse le temps d'approfondir le caractère de chacun, de leur donner leur part d'étrangeté, de folie. Et le plus beau, c'est que pour en arriver là, Desplechin choisit
toujours la voie "physique" plus que le dialogue : Amalric avachi dans son alcoolisme, Poupaud bondissant tel un lutin, Roussillon dans son corps cassé, Berling (Junior) dans sa sensualité d'ado, toutes ces postures concrètes en disent beaucoup plus long que les dialogues. Pourvu que les cinéastes français médiocres en prennent de la graine. Et pourtant, malgré l'espèce d'exception que le cinéaste accorde à chacun de ses personnages, on a une impression constante de "troupe", de groupe homogène. Un Conte de Noël est un film choral où chacun chante sa propre mélodie, triste ou joyeuse, hystérique ou apaisée. Un chaos qui formerait une harmonie.
Au niveau de la mise en scène, c'est peu de dire que c'est inventif : chaque nouvelle séquence surprend par son traitement, par son hiatus avec la précédente. On passe du réalisme pur à l'artificialité (les acteurs raconetnt leur vie au public), de la scène de comédie hystérique (le film est franchement hilarant dans ses excès, et Amalric est dirigé comme un bouffon tragique) à la scène psychologique, du grand mélodrame à la farce à la Marx Brothers, sans jamais que le film perde en cohérence. Desplechin utilise des "trucs" de cinéma (ouvertures à l'iris, faux raccords, scènes totalement gratuites) avec une audace qui force le respect, tant tout cela fonctionne parfaitement. Sans jamais perdre de vue son sujet, il se permet des escapades fantaisistes (Amalric qui passe par la fenêtre au lieu de prendre l'escalier, une scène immédiatement appelée à devenir culte), des traits improbables ajoutés aux personnages (Berling qui devient un catho convaincu), et se permet aussi des changements de tons et de techniques qui rendent Un Conte de Noël passionnant. On reste happé par ce groupe de barjots pendant 2h30, sans jamais décrocher, sans jamais noter la moindre faiblesse d'écriture ou d'invention. Une pure merveille. (Gols 06/07/08)
Arnaud Desplechin signe encore une fois, après Rois et Reine, le film le plus ambitieux et le plus réussi de l'année. C'est une vraie merveille comme le dit mon camarade car le film se permet toute les audaces et parvient à transformer chaque tentative. Les échanges sont frontaux, les personnages sont complexes, la musique est omniprésente mais toujours en léger contrepoint comme pour souligner la diversité et l'humeur de chacun, le montage est du grand art car toujours surprenant, déroutant, créatif. Lors de la conférence de presse à Cannes, on apprend que Desplechin avait demandé à sa troupe d'acteurs de visionner auparavant l'excellent Seuls les Anges ont des Ailes d'Howard Hawks pour leur donner l'idée de personnages de "durs à cuire"; cela convient en effet parfaitement à l'ambiance de cette oeuvre où chaque individu assume jusqu'au bout sa part d'ombre et ses forces, en un mot ses gènes (ou "gênes" comme vous voulez...). Si l'amour du couple originel formé par Deneuve et Roussillon a peut-être un peu étouffé leur progéniture, chacun semblant avoir un peu de mal à, justement, déployer ses ailes, les deux fils et la fille tentent tant bien que mal de trouver leur place au sein de cette famille un tantinet azimutée (mais lesquelles ne le sont point...). Le personnage d'Amalric est tout bonnement époustouflant, jouant constamment, avec un vrai génie (n'ayons pas peur des mots) sur la corde raide; bourré de défauts, pour ne pas dire de tares, s'en prenant plein la tronche (magnifique coup de poing d'Hippo toujours aussi juste et saignant...), il parvient malgré tout par finir par retomber sur ses pieds (la séquence qu'évoquait Gols) sans faire finalement plus de compromis que cela avec l'être qu'il est. Desplechin réussit presque le tour de force de nous faire aimer "la famille" (...) sans faire aucune concession dans les multiples travers qu'elle renferme. Dans le fond, c'est énorme, dans la forme c'est énond (à ben tiens, ça marche pas, moi qui voulais conclure par une jolie formule, c'est raté). Bref, quel plus beau cadeau de Noël en cette fin d'année que ce film (déniché au fin fond d'un bac shanghaien, vous pouvez même pas imaginer - failli embrasser la vendeuse mais c'est po la culture) qui impose définitivement Desplechin tout en haut du panthéon des cinéastes français (je distribue mes propres trophées, ça coute rien).