Massacre à la Tronçonneuse (The Texas Chain Saw Massacre) de Tobe Hooper - 1974
Dans le cadre de mon cycle actuel "je me tape un film d'horreur tous les soirs", un p'tit tour vers ce classique des classiques que je ne me lasse jamais de revoir, je dois avoir un côté pervers refoulé. Voir The Texas Chain Saw Massacre, c'est un peu comme voir un film porno : ça a la même puissance de subversion, et on éprouve un peu la même gène à se laisser entraîner. 35 ans après, le film conserve absolument tout son pouvoir : c'est une expérience dérangeante à mort, qui reste en tête comme un cauchemar. La radicalité du projet ne s'est jamais retrouvée depuis tout ce temps : Hooper enlève tout le gras des productions de ce genre, se concentre sur l'essentiel, et sert du coup un film monstrueux, un coup de poing brut de décoffrage, hyper-condensé et hyper-épuré, qui impressionne véritablement.
Pas de scénario, pas de surnaturel, pas de psychologie de personnages, pas d'effets foireux : The Texas Chain Saw Massacre, c'est du 100% bio, Hooper faisant confiance à la seule force de sa mise en scène pour déclencher l'horreur. Pendant 40 minutes, il ne se passe à peu près rien, si ce n'est que le film instille une atmosphère morbidissime de la plus belle eau. Un groupe de victimes potentielles traverse le Texas à bord d'un mini-bus. Point barre, sauf que les personnages qu'ils croisent rivalisent de rires torves et de tronches pas possibles. C'est un défilé de freaks (la palme à ce mec qui lave sans relâche le pare-brise de nos compagnons, avec un calme effrayant), rehaussé d'ailleurs par cette curieuse idée d'avoir mis au sein du groupe un handicapé moteur légèrement attardé, qui tend à montrer que la déformation physique et mentale est bien partagée. Hooper a l'air un peu partagé sur l'importance de la culture au coeur du Texas, si on en croit ces débiles hurlants qui s'ouvrent la main à coups de couteau et ces cow-boys qui jettent des regards concupiscents sur les shorts des jeunes filles.
Et puis soudain tout s'emballe avec l'arrivée du fameux Leatherface, débile profond qui met son point d'honneur à découper tout le monde en morceaux. A partir du premier meurtre, d'une brutalité totale (bim, un coup de marteau, et c'est plié), le film va plonger avec une vitesse ahurissante dans les tréfonds du glauque. Ce qui marque le plus, c'est l'absence de toute justification dans les agissements des meurtriers : le film ferme tout espoir d'échappatoire aux victimes, puisque les motifs de leur torture sont inexistants. Hooper zoome et dézoome comme un fou sur les visages terrifiés, sur les objets morbides qui font la déco de Leatherface (une poule dans une cage, faut être barré quand même), court comme un dératé avec sa caméra pour suivre la violence de son histoire, et assène de grandes gifles dans la tronche de son spectateur. C'est cradingue à souhait, grâce à une image qu'on dirait machée puis recrachée, à des maquillages à 2 dollars absolument réalistes, et surtout à un travail sur la bande-son absolument formidable : pas vraiment de la musique au sens strict, mais une symphonie de grincements et de stridences insupportable qui participe beaucoup à l'ambiance (il y a notamment tout un travail sur un son de marteau-piqueur, qui n'a rien à faire là, mais qui déchire l'oreille de façon lancinante).
Finalement, la partie "horreur" tient en trois scènes ou à peu près : une course-poursuite immense dans la forêt, où la variété des plans donne l'impression d'être au coeur même de cette situation affreuse, un véritable cauchemar vécu en direct, dans un style très réaliste ; une scène d'intérieur dans laquelle Hooper fait la preuve que le grand-guignol et le burlesque sont inséparables de tout bon film d'horreur, interminable séance de torture morale et physique drôle et du coup terrifiante ; et un final très rapide, qui boucle le film avec une puissance punk renversante. Ce film est une bombe atomique trash, une étape dans le genre et un cauchemar éveillé.