La Couleur de la Grenade (Sayat Nova) (1968) de Sergei Parajanov
Considéré comme un chef-d'oeuvre du type - il s'est pris quand même 5 ans de goulag pour la peine, le bougre -, ce film sur la vie du poète arménien Sayat Nova au 18ème s. (apparemment plus passionnante que celle d'un lanceur de poids Ouzbèke du 19ème, cela dit sans préjugés) est une série de tableaux animés pleins de bruits et de couleurs et dont le sens métaphorique m'a sans doute échappé la plupart du temps. Restent quelques visions définitivement, euh... originales, alors que l'on suit la vie du gars de son enfance à son trépas, en passant par sa visite à la cour d'un roi ou encore sa retraite dans un monastère. J'ai cru aussi reconnaître un moment Barbara dans le film, mais c'est en fait le poète qui aurait changé de sexe parfois au cours de sa vie d'où les grosses embrouilles par la suite de Parajanov accusé d'homosexualité - ah moi?, j'ai aucune preuve, j'en sais po plus. Bref au départ, c'est un feu d'artifice de couleurs - les teintures de tissus -, d'images impressionnantes - ces multiples livres que l'on sèche sur le toit de l'église - ou encore de "sensations visuelles" - les séquences sur ces corps dans les bains... On imagine dans quelle atmosphère a pu grandir le petit Sayat et Parajanov de composer chaque image comme un bouquet de saveurs, un festin esthétique.
Rapidement cependant, ensuite (bon, c'est peut-être aussi parce que je suis po un spécialiste de l'art byzantin ni de l'iconographie du coin... je suis un spécialiste de pas grand chose, même, si vous voulez mon sentiment général), on se retrouve un peu dans la peau d'un Edouard Baer qui voudrait commenter le reste du film à un aveugle : c'est un étalage de tapis suspendus très jolis, un défilé de moutons dans une église - parmi eux quelques-uns se verront égorgés hors-champs (par exemple, les poulets, eux, très présents dans la mise en scène du gars, se feront couper la tête dans une ultime séquence où ils partent en vrille au milieu de bougies alors que notre héros agonise... Hein, oui, pas tout saisi, sauf que le poulet, vous remarquerez, a souvent un regard revanchard quand il est face caméra), il y a des troubadours qui font les marioles filmés en plongée, un angelot qui tourne souvent en arrière-plan, une séquence avec 3542 figurants qui font tous un truc dans chaque coin de l'écran - ah oui c'est beau !, hum... Le film s'achève et sans avoir un air consterné parce qu'on nous a dit que c'était un chef-d'oeuvre et qu'on est ouvert à la discussion, on termine avec un sourcil gauche légèrement abattu et un petit éclat dans le regard un peu éteint, po vraiment fier d'avoir pratiquement rien pipé à ce récit composé de séries de vignettes (Ah si, un moment un couple n'arrête po de triturer du coton, ce fut exactement mon impression dominante au cours de la vision). On se rassure en se disant qu'esthétiquement, fusil, c'est fort (il aime bien jouer avec les fils transparents le gars) mais qu'au niveau de l'émotion on n'a pas plus vibré que pendant un mariage chinois... Comme dirait la critique de ma jaquette "Truly sublime... an extraordinarily beautiful film" - ah ben ouais c'est facile à dire... J'ai presque envie d'avoir la même lâcheté, eheh ("Vraiment admirable ce coquillage sur ce sein, prodigieux!"). Je suis volontairement un peu caustique - l'univers visuel de Parajanov est franchement unique -, mais beaucoup moins charmé, si l'on peut dire, que par Les Chevaux de Feu. Voilà, à vous de voir et d'être, si possible, ému... (Shang - 22/12/08)
Oh mince il va falloir que je ponde au moins quelques lignes... Bon alors on va dire que ce film se tient à l'exact endroit de ma perplexité, puisque je n'ai pas pipé un mot (ça tombe bien, il y en a peu) à cette histoire, et heureusement, si vous voulez mon avis, que Shang est là pour nous dire de quoi ça parle exactement (de quoi un monastère ? où ça un travesti ?) parce que si vous m'attendiez, on raterait l'apéro. Certes, on ouvre de temps en temps un oeil devant ces tableaux qu'on croirait directement sortis de l'iconographie mystique de l'époque (laquelle ? me cherchez pas non plus), admirant la composition des cadres et l'art de faire tenir dans l'écran mille petits détails sensément parlants à l'Arménien de base. Certes le film peut tenir lieu de leçon aux enfants pour reconnaître les animaux, fort nombreux, ou au prétendant au monastère pour réviser les symboles picturaux de sa foi. De temps en temps, c'est vrai, c'est très beau, ces cadres remplis de figurants ou ces gros plans hyper composés. Mais franchement on s'assoupit plus souvent qu'à son tour devant cette démonstration de force visuelle, qui doit parler à certains mais laissera la plupart sur le bas côté. Finalement, et je me dis que c'est peut-être aussi en partie ça qui a valu à Paradjanov les honneurs du goulag, le film sanctifie une culture, la dresse en étendard d'identité, et fait preuve de très peu de chauvinisme russe dans ce film complètement déconnecté des soucis de l'époque ou de l'effort propagandiste. C'est toujours ça de pris : arriver à être un rebelle en filmant un mystique. A part ça, je suis dubitatif. Mais alors très. (Gols - 01/04/20)