Birth de Jonathan Glazer - 2004
Merveilleuse surprise que ce film dont j'attendais juste un scénario intrigant et un numéro d'actrice : il est beaucoup d'autres choses, mais pas ça, et réussit vraiment là où on n'attend plus le cinéma américain : dans la mise en scène.
Passons justement sur le scénario, sans intérêt, trop explicatif sur la fin, peu captivant dans ses aspects new-age gavants. On se fout un peu de ce que le film raconte, car il le raconte avec une telle élégance et une telle originalité qu'il aurait bien pu porter sur la pêche au thon en Nouvelle-Guinée que ça aurait été tout aussi passionnant. Glazer sait comme personne planter une atmosphère glaciale, étrange, hiératique, par l'utilisation de sa caméra, et surtout par sa direction d'acteurs. Son truc à lui, c'est l'immobilité, la lenteur ; ça se traduit par une multitide de gestes suspendus juste avant de passer à l'acte, par des quasi-arrêts sur image qui figent le temps pendant quelques secondes avant de reprendre, par une façon très lente d'amener les corps et les visages dans l'écran. Dès qu'une phrase est prononcée, les gestes s'arrêtent quelques secondes, comme pour mieux faire résoner les paroles. Ca fonctionne parfaitement, et ça donne à cette vague histoire psychologique une très belle profondeur formelle. Birth en devient étrange, hors du temps, curieusement bâti, très intrigant même dans les scènes banales.
Glazer y adjoint un montage absolument inédit, qui choque dans les premières minutes, mais qui remporte l'adhésion petit à petit : succession de scènes très courtes (parfois juste une réplique) montées à l'encontre de la logique de temps et d'espace, qui utilise le faux raccord et le brouillage des repères avec beaucoup d'audace. Glazer coupe toujours juste avant ou juste après que ça soit "logique", laissant parfois tourner beaucoup plus longtemps que nécessaire (le premier plan, excellent, montre juste un homme qui court dans la neige, très longtemps, et la caméra le suit à la Gus Van Sant : on s'attend à tout, et rien n'arrive), ou coupant juste avant un geste ou une phrase capitale. Il y a aussi ces scènes élégantissimes où la caméra vient traquer les émotions des personnages, comme dans ce travelling hitchcockien qui part d'un plan d'ensemble sur une salle d'opéra pour venir cadrer de très près le visage de Kidman. A noter que celle-ci, malgré les ravages des chirurgiens plastiques (c'est un désastre de voir une actrice aussi belle massacrée comme ça), arrive à exprimer une palette d'émotions impressionnante, tout en sobriété. Glazer la filme justement dans toute l'étrangeté de ce visage rafistolé : elle est opaque et légèrement inquiétante, alors que c'est elle qui devrait avoir peur.
Ajoutons un travail parfait sur la musique, mélange de petite mélodie entêtante (12 notes de piano en tout et pour tout, qui reviennent sans cesse) et de sons électroniques (2 notes graves qui apparaissent au moment les plus incongrus) ; et ajoutons aussi une photo très inspirée, qui dépeint ce monde bourgeois avec une belle amertume glacée. Birth est un film qui vous arrive sur le coin de la gueule sans trompette, vraiment bluffant. Allez, je lance les paris, en créant la premier poulain shangolien : Jonathan Glazer est un futur grand. On en reparle dans 10 ans.