Prends l'Oseille et tire-toi (Take the Money and run) (1969) de Woody Allen
Voilà une odyssée qui va à trois mille à l'heure... Bon, cela dit, ce premier - vrai - long-métrage est loin d'être une merveille hilarante dont on a de la peine à se remettre. Beaucoup d'imprécisions aussi bien dans les cadres (ouh, le mauvais flou, ouh la caméra qui tressaute) que dans certains gags (po besoin d'avoir un Q.I au-dessus de 12) mais, malgré tout, déjà les premiers jalons d'une oeuvre - immense - qui s'annonce. Même si les séquences sont on ne peut plus inégales, parfois même assez faiblardes, Woody Allen fait déjà preuve d'un évident sens du rythme pour enchaîner toutes ses vignettes qui alternent les hold-up foireux, les passages en prison - évasions incluses - et les interviews soi-disant sérieuses des personnes qui l'ont côtoyé. Il campe déjà parfaitement cet être totalement inadapté à la société et qui manuellement a huit mains gauches (son face-à-face avec la machine censée plier les chemises est un must, le Woody s'escrimant, littéralement, à contrôler le bazar). Il y a également en germe ces petits instants de romance et, s'ils sont encore un peu insipides comparés à ceux d'Annie Hall ou de Manhattan, ils dénotent farouchement la volonté de lier l'humour et l'analyse des sentiments amoureux. C'est un petit pas, mais un pas tout de même qu'il fallait oser au sein du projet.
Quelques sympathiques gags visuels (po facile d'assassiner une personne avec un pilon de dinde, même dans le dos, ni de garder son intimité quand on est enchaîné à cinq personnes qui se fendent la poire dès qu'on parle à sa douce) qui frôlent l'absurdité totale lorsque le Woody tente de jouer du violoncelle lors d'une parade ou découpe soigneusement la devanture d'une bijouterie pour se barrer... avec la glace. Au niveau des réparties du maître-dialoguiste, deux petites pour la bonne bouche : "-Vous travaillez dans quel genre de bureau ? Euh, rectangulaire" ou encore "- Est-ce que le sexe est sale? - Oui, seulement s'il est bien fait..." Un premier passage à l'acte donc, forcément bourré de petits défauts, mais que le cinéaste en herbe saura très rapidement affiner. (Shang - 02/12/08)
Aaaah c'est brut de décoffrage, oui, c'est sûr, et si vous êtes pointilleux sur les faux raccords, le montage à la machette et les imprécisions techniques, on vous conseillera plutôt de vous tourner vers Kubrick. Woody fait clairement ses gammes ici, et a l'air de se moquer un peu de faire du cinéma, du moment qu'il peut faire se gondoler les gens. Tout ce qui fait le "fini" d'un film, il le traite comme accessoire, et c'est vrai que son film a tout d'une suite de sketches, balançant la construction de scénario aux orties. Mais franchement, quand (presque) toutes les vannes font mouche, quand (presque) tous les gags sont hilarants, quand toutes les deux secondes (je n'exagère pas), une nouvelle bombe de marrade nous tombe dessus, pourquoi en demander plus ? Libéré de la scène, doté enfin des petits moyens pour faire un film, notre Woody se lâche et nous offre sur un plateau à la fois un florilège de ses vannes sur scène et un exemple de son génie comique. J'ignore si à l'époque, les gens ont senti qu'il y a avait là un maître ; avec le recul, ça paraît évident. A part une ou deux sorties qui ont un peu vieilli, on est épatés par la constante invention du gars, par son sens de la réplique juste, par son goût pour l'absurde, par son sens de l'auto-dérision. Je dois connaître par cœur chaque réplique de ce film mythique pour moi, mais à chaque fois c'est le même plaisir, j'y découvre toujours une petite mimique que je n'avais pas remarquée, un détail impayable, une inflexion de voix qui rehausse la connerie d'une punchline. Alors, certes, on n'est pas du tout dans l'extrême élégance de l'humour allenien tel qu'il l'a construit de films en film : on est encore dans le gros gag façon Marx Brothers dans le meilleur des cas, Mel Brooks dans le pire, et Woody se pique même d'humour visuel ou de comique troupier sans rougir. Mais dans cette première période de sa filmographie, il faut faire entrer Take the Money and run dans ses très grandes réussites. Naissance d'un génie pas encore obnubilé par la technique : grosse grosse poilade. (Gols - 24/05/22)
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