City Girl de Friedrich Wilhelm Murnau - 1930
Un petit film méconnu du bon Friedrich, ça peut pas faire de mal. Bon, il se trouve que City Girl est assez loin du grand film, se contentant dans l'ensemble d'un honnête savoir-faire dans l'écriture, et réservant peu de place aux vrais moments de bravoure. L'histoire ressemble pas mal au sublime Sunrise, mais la comparaison s'arrête un peu là : un brave péquenot de la campagne épouse une "city girl" rêvant de champs de blés ; mais très vite, celle-ci se heurte à la dure réalité de la ruralité : paysans obsédés sexuels et lourdauds, tempête de grêle et surtout relations avec le chef de famille très tendues (celui-ci est d'une austérité totale, et va même jusqu'à lui mettre une torgnolle à assommer un cheval).
Murnau excelle dans les plans larges : magnifique découverte d'une campagne fantasmée, où les champs unis s'étalent à l'infini le long de petits chemins un peu trop hollywoodiens pour convaincre (c'est aussi propre que les Champs Elysées) ; travaux de la ferme filmés avec une admiration évidente, qui donne une partie documentaire vraiment belle ; ou utilisation impeccable des lumières dans toutes les scènes finales, où la tempête menace. Malheureusement, le film réserve peu de place à ces plans d'ensemble, et multiplie les scènes de dialogues en plans rapprochés. On s'ennuie un peu à suivre les tribulations psychologiques un peu palôtes de cette jeune urbaine aux prises avec les hommes. Les cartons sont eaucoup trop nombreux, et on sent pour une fois Murnau empêtré dans les problèmes du cinéma muet : City Girl voudrait être un film parlant. La sauce peine à prendre, d'autant que les enjeux du scénario sont faiblards : drague appuyée des métayers, difficultés à pénétrer ce monde fermé de la campagne, ou encore : arrivera-t-on à sauver la récolte de vlé avant la tempête ? On s'en tape un peu, pour tout dire. Pourtant, Murnau voudrait bien réussir une tragédie moderne, on le sent trépigner devant ce script sans aspérité. Il se lâche parfois, par exemple dans une très belle scène de bagarre sur charette, où le montage fait merveille : plans courts et très rythmés, la tension monte très bien et l'espace est décuplé avec talent. Murnau voudrait faire de son héroïne une victime sacrificielle, mais peine à plaquer de l'affect sur ces scènes somme toute bien banales. La musique, ajoutée récemment, n'aide pas à entrer dans le film : trop légère, elle se contente de plaquer un style assez country sur ces images de campagne, on ne peut pas dire que ce soit très inventif.
Le film se laisse regarder, grâce à une très belle utilisation des lumières et à une très belle photo, grâce aussi à quelques détails de mise en scène mignons (la barrière qui sépare le monde urbain et le monde rural, bien utilisée, et qui finira par nous laisser clairement du mauvais côté dans le plan final). Mais ça reste du travail honnête, sans plus. De la part de Murnau, on peut attendre plus.