Alice (1990) de Woody Allen
Il y a vraiment de bonnes choses dans Alice et d'autres un peu complaisantes pour ne pas dire un poil irritantes. Commençons par le bon côté des choses : une des premières scènes, celle dans l'appart, un long plan-séquence presque digne d'un Altman (toute proportion gardée) où l'Alice virevolte dans tous les sens à la poursuite du vent ; embourgeoisée jusque là, elle passe sa vie entre son pédicure et sa masseuse, mais elle ne cesse de penser depuis peu au regard de braise d'un parent d'élève (Joe Mantegna, po mon type, mais c'est pas non plus ma branche). Toute tendue, elle décide de se rendre chez le fameux Dr Yang en plein Chinatown - moi qui cherchais à me dépayser un peu, royal... Bon, c'est un Chinois à la Woody, stéréotypé à mort, incapable d'utiliser un article - me rappelle douloureusement mes élèves... - mais assez fendard avec ses multiples potions et ses énervements soudains - en fait, je croyais l'autre jour que mon voisin m'engueulait alors qu'il me disait simplement bonjour, pas au point mon oral. De la roue hypnotisante (beau flash-back lorsqu'Alice dans cette même pièce baignée de rouge revit la rencontre avec son mari) à l'opium, de l'herbe qui fait disparaître à celle qui désinhibe (séquence absolument géniale, une Mia époustouflante, lorsqu'elle drague à mort le Joe en susurrant son texte, chaque mot ayant une connotation sexuelle gravissime), la Mia passera dans tous les états pour essayer de reprendre contact avec son moi profond, dit-il humblement. Sur un petit air de tango entraînant, Alice fait un pas en avant et deux en arrière en direction du Joe et a beaucoup de mal pour passer au pays des malices ; lorsque le Joe l'appelle une première fois chez elle, elle tient dans sa main une poire - sûrement po de pomme sous la main -, lorsqu'elle donne son premier baiser adultère cela se fait derrière des barreaux, dans la cour de l'école - catholique, transgression, mal, interdit, dirait petit Chinois philosophe - et cela culmine dans la chambre du Joe où la structure qui soutient la véranda reprend exactement à l'identique le motif de ces fameux barreaux. Alice a du mal à sortir de la cage dorée qu'elle s'est forgée mais elle finit par se décoincer et on est content pour elle.
Bon, là où on serre un peu plus des fesses, c'est bien dans cette complaisance à montrer la vie de ces New-Yorkais ultra friqués - le Woody ne semble que trop bien les connaître - et dans l'absolue incongruité de convoquer, en opposition frontale, Mère Térésa dans un film qui fait monter des larmes aux yeux à ces types coincés derrière leur cravate. Je passerais presque sous silence le voyage en Inde sur la fin d'Alice - la misère du monde la fera redevenir une gâte super à la coule : on se dit parfois que le Woody n'y va pas avec le dos de la cuiller pour convoquer certains clichés - le final frôle franchement le ridicule. Mais bon, on préfèrera garder en tête quelques gentils passages truculents (le Joe invisible qui va mater un top-modèle dans sa cabine d'essayage avant d'aller surprendre les conversations de son ex-femme avec son psy (une manie chez Woody d'espionner des patients (après Une Autre Femme et avant Tout le Monde dit I love you) et le jeu de la Mia en grande forme quand elle se lâche et oublie son serre-tête). (Shang - 26/11/08)
Woody attaquait avec Alice sa période plus feutrée, sa période bleue pourrait-on dire, avec des films moins directement fendards, mais joliment mélancoliques, nostalgiques, doux-amers, autant amusants qu’émouvants. Voici donc un des archétypes de cette période : pas de punchline, pas de gag, un rythme beaucoup plus alangui que d'ordinaire, mais un portrait de femme touchant, des situations rigolotes et de la justesse de sentiments. Woody annonce, 20 ans avant, l'avènement des bobos, avec cette bourgeoise à qui tout sourit, mais qui se sent tellement mal aimée et mal comprise qu'elle finit par s'enfuir chez Mère Térésa en Inde. Mon Shang a trouvé ça too much, c'est presque devenu le passage obligé de nos jours pour toute femme riche et déprimée. Bon, avant ce voyage (qui fait d'ailleurs long feu, la toute fin la renvoyant dans les roses avec cruauté), Alice sera passée par un sérieux bilan personnel, aidée par les potions non homologuées du marrant Docteur Yang. D'accord avec Shang sur la scène où, emportée par l'herbe qu'elle a avalée, notre oie blanche devient subitement une vamp au sex-appeal toutes griffes dehors : Mia Farrow y est excellente, et prouve ici l'étendue de son jeu ; mais on aime aussi cette belle séquence avec Alec Baldwin en fantôme du passé qui vient valser une dernière fois avec elle : classique, mais toujours émouvant ; ou ce petit tour que la dame fait dans les décors de son enfance, une séquence empruntée autant aux Fraises sauvages qu'aux anciens films de Woody lui-même.
Mia Farrow est tellement de tous les plans, et son talent est tellement évident, qu'elle pourrait occulter le discret William Hurt, pourtant excellent lui aussi dans un rôle particulièrement peu flatteur. Talentueux également se montre Woody pour croquer la petite communauté de grands bourgeois new-yorkais, qui en prennent pour leur grade : oui, il les connaît bien de toute évidence, et a rarement été aussi sarcastique pour décrire leurs vanités et leurs petitesses. Après, c'est vrai qu'en adoptant ce ton plus discret, plus mélancolique, notre cinéaste perd un peu en peps et en rythme. Trop long, cherchant un peu sa progression, Alice ennuie parfois, manque d'humour franc, et se contente d'être doucement amusant. Il apparaît comme un écrin offert à sa femme, alors au faîte de sa grandeur, et c'est un beau cadeau. Mais un an après Crimes et Délits, ce film peut être considéré comme mineur. Agréable, bien sûr, mais un peu démodé dans ses idées (toutes pillées par d'autres depuis), un de ceux qui ont le plus mal vieilli finalement. (Gols - 26/05/22)
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