Le Tombeau d'Alexandre (1992) de Chris Marker
Chris Marker fait un parallèle entre la vie d'Aleksandr Medvedkin et l'histoire de la Russie - et le rôle du cinéma - en se concentrant surtout sur la période allant de la révolution d'Octobre à la seconde guerre mondiale en passant par les purges staliniennes. La phrase que dit l'un des intervenants au début de ce doc/enquête résonne tout du long : "Medvedkin était un communiste pur dans un pays qui fait semblant d'être communiste". Marker mélange savamment les interviews (la fille de Medvedkin, des anciens collaborateurs, de jeunes archivistes passionnés par son travail...), des extraits de films (Eisenstein, Vertov,... et bien sûr les oeuvres de Medvedkin et en particulier Le Bonheur...), des images d'archives... pour tenter de rendre compte de la valeur de l'oeuvre de l'Aleksandr et de la censure dont il a été victime sous Staline, le faisant malheureusement souvent disparaître des tablettes de l'histoire du cinéma russe.
Lorsque Medvedkin, après la guerre civile, se voit chargé de la propagande auprès des jeunes soldats de l'armée, il décide de se concentrer plutôt sur la réalisation de films. Cela aboutira avec ce fabuleux projet des ciné-trains qui sillonnent la Russie pour éduquer les paysans ou les ouvriers... Seulement, bien souvent, ces films ont tendance à révéler un peu trop les mauvais côtés des choses (en tout cas tous les problèmes qui se posent) - dans les usines comme dans les kolkhozes - et cette formidable aventure se voit boycottée par la presse de l'époque. Marker, des années plus tard, avec l'aide d'un jeune archiviste - remet la main sur quelques-uns de ces films de Medvedkin où l'on sent sa volonté de filmer avant tout la réalité et les multiples problèmes posés. On retrouvera dans Le Bonheur - même au niveau du montage - des idées qui découlent de cette expérience mais là encore le film - absolument délirant et d'une immense créativité - sera victime d'ostracisme. L'image arrêtée sur le regard terrifié du héros (un simple paysan) en dit long sur le réel climat de l'époque. Bien que proche des idéaux communistes mais gardant toujours un angle très personnel - et souvent avec une belle ironie -, il sera à nouveau victime de la censure lors de la présentation de son film La nouvelle Moscou. Il échappera malgré tout aux purges staliniennes dont beaucoup ne se relèveront jamais - euphémisme - (multiples éxécutions sommaires comme celle, entre autres, d'Isaac Babel); même si plus tard il réalisera des oeuvres où la propagande gagne du terrain (comme une concession nécessaire pour pouvoir travailler...), chacun des intervenants souligne son évidente fidélité à lui-même tout au long de ces années troubles (Vertov en prend lui un peu plus pour son grade, car si on lui reconnaît tous les talents du monde, il semble qu'il n'ait jamais fait preuve d'une grande intelligence vis-à-vis du pouvoir communiste...). Ceci n'est jamais qu'un résumé très sommaire mais le doc est passionnant et nous plonge au coeur des relations entre l'Art et le pouvoir en des temps pleins d'une vitalité créative extraordinaire malgré la chape de plombs imposée par les dirigeants po super cool d'alors.
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