We feed the World - le Marché de la faim (2005) d'Erwin Wagenhofer
Bon complément à Mondovino, Le Cauchemar de Darwin ou Notre Pain quotidien, ce documentaire montre simplement que plus on produit plus il y a de famine, mais aussi qu'on bouffe de la merde, qu'on bousille "globalement" l'environnement, et que c'est bien parti pour durer. Plusieurs chapitres, sans qu'il y ait besoin de grands discours, illustrent des problèmes aussi divers que la destruction de produits alimentaires, la différence entre la pêche artisanale, qui vit ses derniers jours, et la pêche industrielle, le problème des semences hybrides, la destruction de la forêt amazonienne pour nourrir nos bêtes européennes alors que parallèlement, dans certaines régions du Brésil, on crève la dalle ou pour résumer en une phrase les problèmes de coût contre les problèmes de goût : toute la politique mondiale de l'Agriculture dans une assiette.
Dès les premières images, on est forcément furax - ou fougasse - quand on voit les tonnes de pain détruites chaque jour dans une ville autrichienne. On apprend aussi plein de trucs pour pouvoir briller en société, à savoir que le poisson frais se doit d'être rigide - le poisson venant de la pêche industrielle est mou comme une chique et a les yeux explosés à cause de la pression, eh oui (certes, on mange rarement les yeux) -, que la Roumanie vit encore à l'heure préindustrielle mais que ses courges ont encore du goût - mais ça va po durer - ou des infos beaucoup plus essentielles sur le poulet hybride : dans un élevage, il faut compter un coq pour dix poules, jusque-là on se dit qu'il a du bol; seulement la poule est génétiquement modifiée pour ne point bouger lors de l'accouplement - et là on se dit qu'il doit pas s'amuser tous les jours, le coq. Mieux, les poussins ont une dent sur le bec (qui tombe au bout de deux jours) pour être capable de briser leur coquille vu qu'ils manquent d'espace - on ne fait définitivement pas de poussins sans casser des oeufs, c'était le moment humour du blog. On parachève le doc avec le big boss de Nestlé et là on touche du lourd dans le personnage cynique mais fier de lui. On se dit que ce type est forcément un grand pote à Sarko vu son discours sur le temps de travail, et je passe sur sa théorie sur l'eau potable et surtout sur la mécanisation où il se contredit sa mère : ça donnerait presque envie de lui jeter des oeufs à la tronche, quitte à ce qu'il se fasse mordre. Heureusement que j'ai la chance de vivre à Shanghai où les produits alimentaires sont tous parfaitement sains... Nan je déconne, ce qui me sauve simplement c'est que je suis incapable de lire l'étiquette du jus de pomme que je viens d'achever... sain et sauf, hum... (Shang - 02/08/08)
Impressionnantes effectivement ces images montrant la chaîne de production du poulet industriel depuis l'accouplement de la bête jusqu'à sa mise en barquette, et impressionnant aussi le cynisme effarant du boss de Nestlé. On ressort comme il se doit absolument dégoûté de ce reportage amer sur l'état de la planète-bouffe, parfaitement résumé par cet intervenant (pratiquement les larmes aux yeux) : "on a de quoi nourrir 12 milliards de personnes, et il y en a près d'un milliard qui meurt de faim : en les laissant crever, on commet un assassinat" (de mémoire).
Ceci dit, je vais faire mon pointilleux, mais il me semble que le gars Wagenhoffer est d'entrée de jeu trop partisan dans cette affaire. Il ne montre jamais les choses, il les démontre, cherchant à prouver à tout prix l'impression (justifiée) qu'il avait avant de commencer son film. Quitte à laisser dans l'ombre pas mal d'éléments (à commencer par son discours sur la pêche artisanale, qui laisse de côté tous les problèmes de quotas ou de pêche sauvage). Un peu simpliste finalement, We Feed the World ne peut toucher que les convaincus, et son manque de rigueur journalistique est un peu douteux. La première heure est par ailleurs assez confuse, mettant tous les sujets dans le même sac sans qu'on n'arrive à mettre la main sur le sujet du film : on parle de malbouffe ? de faim dans le monde ? du combat des petits producteurs contre les industriels ? de la production de masse ? C'est trop éclectique pour faire un film, et on a plus droit à une série de courts-métrages qui n'ont en commun que le catastrophisme de la situation. Non pas que je conteste la gravité de la chose, mais j'aurais préféré que Wagenhoffer nous l'explique autrement, plus professionnellement, plus rigoureusement (et surtout sans utiliser cette musique dramatique pour nous faire comprendre qui sont les bons et qui sont les mêchants). C'est un film nécessaire et légitime, mais c'est un film de militant un peu ambigü... (Gols - 02/10/08)