L'Enfant secret de Philippe Garrel - 1982
L'Enfant secret est visiblement le pivot de l'oeuvre de Garrel, celui qui lui a fait abandonner la pure expérimentation pour passer à une phase narrative et autobiographique. C'est bien dommage, m'est avis, vu que ses productions franchement barrées sont indéniablement les plus réjouissantes. Mais bon, pas très grave : ce film-là garde encore pas mal de traces de ses improbables essais formels. Dans ses meilleurs moments, on y assiste à des déchirements de pellicule, à des sons saturés, à des arrêts sur image, et à un formidable effet de répétition de la même scène cadrée légèrement différemment. Tout ça au service cette fois-ci d'une vraie histoire, certes très banale, mais bien présente : les éternelles errances du couple garrelien par excellence, lui artiste torturé, elle femme insaisissable et frivole.
Garrel est sincère, aucun doute là-dessus : cette historiette semble vraiment le concerner, l'attrister, et une fois de plus il met tout son coeur à l'ouvrage pour nous prouver que sa génération est perdue et mal barrée, entre angoisses métaphysiques, drogue dure et affres de la création. Le souci, c'est que L'Enfant secret fait partie de ses films d'où on se sent exclu. On a l'impression d'une thérapie personnelle exposée sur la place publique de l'écran de cinéma. On a certes pitié du pauvre Garrel, qui souffre beaucoup au contact des femmes, mais on s'en tape un peu. Marre de ces dialogues sur-signifiants et poétiques, marre de ces soucis du dimanche, marre de ces gueules tirées sur fond de piano romantique (une catastrophe pour une fois côté musique, très datée). Je préfère quand Garrel s'amuse à réécrire les Evangiles (Le Lit de la Vierge) ou à dynamiter ses couples (Le Révélateur). On espère le pétage de plomb dans les premières minutes, avec cette voix off impromptue qui hennit "Vive l'anarchie !", mais on déchante en constatant que Garrel rentre vite à la niche confortable de sa petite vie.
Heureusement, la sauce prend encore souvent, grâce à la mise en scène. Constitué de saynettes mises bout à bout sans coupe, le film est comme une succession de moments fermés sur eux-mêmes, ce qui donne un rythme intéressant. Les quelques apparitions du mystérieux enfant du titre (il s'appelle Swann, et effectivement il est secret) sont très intelligemment pensées, filmées comme au temps du cinéma muet, avec ouvertures de focales et "hâchage" des images. Et puis il y a de nombreuses suspension de temps, pour s'attarder sur des gestes (un homme allume sa clope, une femme regarde son mec dormir) qui sont vraiment poétiques. On voit bien que Garrel est un écorché vif, un poète sombre et sentimental ; on voudrait juste qu'il mette ça au service d'un autre sujet que son nombril.
Garrel soûle ou envoûte ici