L'Ascension (Voskhozhdeniye) (1977) de Larisa Shepitko
Film de guerre d'une énorme puissance, Larisa Shepitko signe un film nourri de références bibliques qui atteint des sommets. On retrouve une grande maestria dans la mise en mise, aussi bien lors de l'épisode, dans la neige, de nos deux partisans russes qui atteint son paroxysme en de longs plans-séquences, que lors de l'interview des deux hommes, faits prisonniers, mené par l'inquiétant acteur tarkovskien Anatoli Solonitsyn.
Deux soldats russes partent en mission à la recherche de vivres pour permettre à un groupe hétéroclite, composé de soldats mais aussi d'enfants et de de femmes en fuite, d'avoir une chance de survie. Menacés par les troupes allemandes qui quadrillent la région et devant faire face à des monceaux de neige, ils tentent de rallier une ferme du voisinage. Ils trouvent celle-ci complètement détruite et décident de pousser un peu plus loin jusqu'au village voisin. L'un d'eux, Sotnikov est atteint par une balle par un tireur allemand, préfère se donner la mort plutôt que d'être fait prisonnier mais est sauvé in extremis par son compagnon, Rybak : au prix d'un effort surhumain (ils mangent bien, en rampant, douze litres de neige), ils finiront par trouver refuge dans une baraque chez une femme avec ses trois enfants. Repos de courte durée puisqu'ils finiront malgré tout par être découvert par des soldats. Ils sont emmenés pour être interrogés par un responsable allemand : si Sotnikov est prêt à mourir sans rien lâcher, même sous la torture, Rybak semble prêt à tout pour sauver sa peau - n'est pas Jack Bauer qui veut...
Après une première partie frissonnante où on finit presque par sentir la neige coller à ses vêtements, la seconde est une évidente parabole biblique : Sotnikov, figure christique, prêt à se sacrifier au nom de ses croyances et Rybak, individu plus "lâche", véritable Judas, prêt à trahir les siens pour s'en sortir indemne. Dit comme cela, le film pourrait presque sembler un peu morne (petite forme, moi, en ce moment), ce serait faire injure à la force des images de Shepitko : on passe de cette neige aveuglante à l'éclairage subtil d'un cachot, de l'épuisement physique lors de leur périple à une tension psychologique quasi insoutenable, jusqu'à une séquence terrible et golgothesque de 5 cordes qui attendent, en haut d'une colline, les deux hommes et trois autres prisonniers. Choix moraux (sur plusieurs niveaux), sens du sacrifice, résistance et lâcheté (les différentes séquences où Rybak imagine sa fuite suicidaire, tente même, maladroitement, de mettre fin à sa vie pour finalement constater, horrifié par sa propre attitude, son manque certain de courage : brrrr...), un fond et une forme d'une absolue maîtrise et d'une grande intelligence. Shepitko est définitivement une cinéaste au panthéon de la cinématographie russe, qui a laissé derrière elle quelques pépites à découvrir d'urgence.