Les Revenants de Robin Campillo - 2004
Au milieu de la surenchère spectaculaire des films actuels sur les zombies, Robin Campillo trouve une voie toute en discrétion qui renvoie tranquillement les autres dans les filets. Il semble avoir parfaitement compris que la peur ne vient pas forcément des coins glauques pleins d'ombres et de bruits bizarres, qu'elle n'est pas obligée de vous sauter aux yeux pour être efficace, qu'elle entretient d'étroits liens avec le fantasme et l'imagination.
Les revenants du film surgissent en pleine lumière d'été, sans bruit, sans grimace effrayante, dans toute la lenteur de l'hébétude. Avant ils étaient morts, maintenant ils sont revenus, point. Dès le premier plan, on sent ce que Campillo va apporter au genre : une poésie étrange, une façon de prendre son temps, de marcher sur les chemins de traverse, de prendre le contre-pied sans crâner. Les morts vont retrouver doucement leurs habitudes d'antan, travail, famille, amis, avec juste cette lente et inquiétante torpeur qui les rend légèrement autres. Le film exploite plusieurs pistes intéressantes : que faire de ce surplus de population ? Comment oublier le travail de deuil ? L'amour est-il plus fort que la mort ? etc. Mais c'est surtout dans la mise en scène qu'il s'impose : Campillo parvient à faire monter une sourde tension dans son film, uniquement par un talent de cadreur hors-paire, par un léger ralentissement des rythmes de montage, par des plans trop longs d'une fraction de seconde, par une direction d'acteurs simple mais inventive. Ces morts-vivants ont une fixité du regard et une torpeur physique dix fois plus inquiétante que les maquillages outranciers des zombies américains. L'absence de motivation (pourquoi sont-ils revenus ? Qu'est-ce qu'ils veulent ? Pourquoi errent-ils toute la journée ? Sont-ils vraiment ceux qu'on a connus ?) rend encore plus lourde l'atmosphère de ce film sans esbrouffe, doté d'une économie de moyens tout à fait remarquable.
Campillo semble connaître très bien les règles du genre. Plusieurs scènes commencent comme des "climax", comme si elles allaient déclencher la foudre ; mais systématiquement, ces scènes se terminent dans la banalité : non les zombies ne vont attaquer personne, non ils ne sont pas dangereux, non ils ne veulent rien : ils sont juste là, dans leur embarrassante et terrifiante présence. Un mouvement de caméra un peu rapide qui précède le regard de Géraldine Pailhas, et on pense qu'on va tomber sur une image terrible ; mais non, on tombe juste sur un de ces zombies immobiles qui ne demandent rien. En tendant constamment son film de cette présence, Campillo parvient à nous prendre dans ses filets, tout en faisant mine de filmer un quotidien sans affect (des réunions de conseil municipal, des scènes de baignade buccoliques) ; mais qu'il s'attarde un peu longuement sur le regard d'un bébé "revenu", qu'il fasse ressortir dans la nuit la chemise de nuit blanche d'une vieille dame, et la peur s'installe immédiatement. On fait tout simplement l'expérience de l'Autre, celui qui nous ressemble et n'est pourtant pas tout à fait le même (sujet identique à la série des Bodysnatchers).
Dommage que sur cette brillante mise en scène, Les Revenants ne raconte pas grand-chose. On a parfois l'impression d'un simple exercice de style, et le scénario hésite à choisir des pistes franches. Mais tant pis : le genre fantastique en France est si rare qu'on ne peut qu'applaudir à cette tentative éminemment personnelle et originale, d'autant que la modestie y est érigée en but ultime. Belle réussite.