Maris et Femmes (Husbands and Wives) de Woody Allen - 1992
Un grand grand Woody que je ne me lasse jamais de voir et de revoir. Avec Husbands and Wives, le gars réussit un miraculeux équilibre entre comédie psychologique et drame bourgeois, et trouve enfin cette mystérieuse alchimie qu'il semble chercher depuis toujours : c'est drôle et pourtant étrangement poignant, léger et pourtant ravageur, enlevé et pourtant d'une belle sérénité.
A priori on est dans le sujet habituel chez Woody : couples vieillissants qui se délitent, conversations freudiennes au fond des appartements new-yorkais, appel du sexe opposé à la quiétude du mariage, bourgeoisie des sentiments, appel de la liberté, le tout sur fond de dialogues ciselés et de décors sophistiqués. Pourtant, ce qui étonne à la vision du film, c'est qu'il y a très peu de ces fameuses petites phrases alleniennes qui font subitement passer du drame à l'humour. Woody se laisse aller à l'autobiographie douce-amère, et en profite pour allègrement renvoyer dos à dos la complexité féminine et la beauferie masculine. Les premières rêvent de poésie, d'amour et de compréhension ; les seconds de parties de jambes en l'air avec des filles de 20 ans et de confort. Sauf que petit à petit, ce manichéisme aparent est brouillé par la profondeur des personnages, par la beauté de l'écriture. Tout est juste dans Husbands and Wives, bien que raconté sur un ton de comédie, et finalemen tout est plein d'amertume et de mélancolie.
Les acteurs y sont pour beaucoup, ils sont franchement tous prodigieux. Mes préférences iront à 1) Sydney Pollack, qui se glisse dans l'univers allenien avec une évidence totale ; il est bouleversant de vérité, y compris dans ses scènes de bagarre avec son ecervelée de maîtresse. Et 2) Juliette Lewis, qui compose avec une extraordianire subtilité un rôle d'étudiante intello et très snob au final ; sa lente métamorphose d'admiratrice en allumeuse est une merveille. Mais les autres acteurs ne sont pas en reste : Mia Farrow, parfaitement énervante en héroïne bergmanienne pleine de refoulements ; Judy Davis, dont les scènes d'hystérie sont effrayantes ; Liam Neeson, parfait en amoureux transi et romantique ; et Woody, qui efface curieusement son bagoût habituel sous une douceur poignante.
Woody explore un nouveau style de mise en scène, en proposant cette façon très heurtée de filmer (caméra à l'épaule, cadre tremblés, cuts à l'intérieur des plans, montage hyper-rapide, zooms vertigineux), mais reste pourtant très fidèle à son style : on a droit à ces plans sur des décors vides, venant recadrer sans se presser les acteurs ; on a droit aussi à ce faux style documentaire, qui prend ici la forme d'interviews des personnages. La construction de l'histoire est faussement désordonnée, des flash-backs venant s'enchâsser dans la trame, elle-même ne respectant aucune chronologie. Mais on reste suspendu aux minucules destins de ces pantins amoureux, regardés avec amertume et cynisme, mais aussi avec beaucoup de tendresse. Ambitions détruites, rêves de beauté, attirances capricieuses, tout est touchant et subtilement écrit, tout est triste et drôle. Pour cette fois, Woody frôle le chef-d'oeuvre.
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