Le Révélateur de Philippe Garrel - 1968
Je tente le résumé, ce qui est une gageure, je suis pas sûr que ce soit le bon : le révélateur du titre, c'est un gosse taquin qui passe tout le film à maltraiter ses parents. Ca va de la simple farce à des rituels un peu troubles (une sorte de manège sur un matelas), en allant jusqu'à l'humiliation (il leur fait faire les pantins sur une scène de théâtre), pour finir par les éliminer purement et simplement, mais là je m'avance. Il "révèle donc" quelque chose en eux, je ne sais trop quoi, une tristesse en tout cas, une incommunicabilité à tout coup. Ajoutons que ce couple semble fuir désespérément quelque chose, avec terreur, et on voit cette petite famille silloner les forêts allemandes et les cratères euh allemands aussi sûrement. Ah oui, et c'est muet et sans musique. Et c'est fait avec les contrastes poussés à fond, ce qui fait qu'on ne voit souvent que des taches de lumière ou des plans totalement noirs.
Ouais, dit comme ça, je vous sens peu motivés. Eh bien vous avez tort. Le Révélateur montre une nouvelle fois l'audace confondante du Garrel des années 68-75, et frôle souvent le chef-d'oeuvre total. Ah certes, on est dans l'expérimental pur jus, et la plupart des choses échappent aussi bien au spectateur qu'aux créateurs eux-mêmes. On sent bien que le dealer de Garrel co-signe le scénario. Mais il y a là-dedans une telle maîtrise technique, un tel brio quand il s'agit de montrer la noirceur, l'aspect spectral de la vie, qu'on est obligé de s'incliner bien bas. Jamais le film ne tombe dans la simple expérience de laboratoire : tout ça est revêtu d'une beauté sombre qui sidère. A l'orée d'un fantastique métaphysique parfaitement mené, mais aussi à la frontière du pur gag, ou du burlesque, Le Révélateur surprend sans arrêt, questionne, dérange.
La mise en scène de Garrel est immense. Le gars maîtrise les travellings avec un énorme sens de l'espace. On ne sait jamais si on assiste à un travelling latéral ou à un travelling circulaire, les longs cheminements de la caméra se terminant soudain par un retour à leur point de départ ; un travelling arrière qui suit les personnages peut se terminer par une brusque accélération qui les laisse en tout petit au fond de l'écran ; un autre peut carrément les occulter hors champ pendant de longues secondes ; jusqu'au plus beau moment du film : le gamin en amorce, une transparence à l'américaine derrière lui (on voit ses parents courir à ses côtés comme pour l'appeler d'entre les morts), et un long voyage immobile superbe dans sa durée. La c
améra est d'ailleurs clairement le quatrième personnage du film, avec ces brusques incursions du cadreur dans son cadre, pas directement mais grâce à des regards du gamin vers le hors-champ, ou des petits signes de complicité de celui-ci. Il y a quelque chose d'un hommage au cinéma au milieu de ce délire onirique à la Cocteau, et Garrel utilise même des fermetures à l'iris ou des "fondus au blanc" pour rappeler l'appartenance de son film à la veine du cinéma burlesque muet.
Le tout est parfaitement maîtrisé, alors que c'est visiblement réalisé dans l'urgence, en bricoleur, sûrement sans aucune autorisation (les rares personnes qui traversent le champ par hasard ont un air inquiet qui prouve bien leur ignorance). Urgence qui transparaît dans le jeu "déchiré" de Laurent Terzieff et Bernadette Laffont, victimes et bourreau de ce petit môme qui irradie l'écran. Morbide, inquiétant, sublime esthétiquement, troublant à mort dans son écriture, Le Révélateur est une bombe atomique, et on a bien du mal à voir qui serait capable d'un tel courage aujourd'hui.
Garrel soûle ou envoûte ici