Le Coeur Fantôme de Philippe Garrel - 1996
Quand Garrel fait du cinéma français, ça peut être insupportable (La Naissance de l'Amour, ou, si j'en crois mon collègue, Les Amants réguliers), et ça peut être magique, comme ici. Le Coeur Fantôme ne tient à rien de tangible, et c'est assez difficile de mettre le doigt sur ce qui en fait la douceur et la mélancolie. Mais le fait est que c'est un film très fort, d'une simplicité qui fait plaisir à voir chez un cinéaste parfois un peu fier de lui.
La grande idée, c'est le casting, et en premier lieu, contre toute attente, Luis Rego. C'est grâce à lui que le film a cette légèreté, cette sobriété, cette maladresse qui le rend si attachant. Le sujet est archi-vu (les déboires sentimentaux d'un quarantenaire, sa femme qui le trompe, ses enfants qui lui manquent, sa maîtresse qui boude), et serait gavant avec n'importe quel autre acteur ; avec Rego, il y a une sorte de fantaisie totalement en porte-à-faux, un peu comme un Léaud, ou comme un Louis Garrel justement, qui fait que chaque écueil de dialogue, chaque ennui potentiel, est désamorcé par cette "enfance" de jeu magnifique. Il falait y penser : prendre un acteur de café-théâtre, au physique étrange et clownesque, à la voix si repérée, pour jouer ce peintre vieillissant que la vie vient malmener. Ca fonctionne plus que bien. Le reste de la distribution est impeccable également : Bruni-Tedeschi libérée de ses rôles d'hystérique, Aurélia Alcais en archétype parfait de la jeune actrice française tourmentée, Evelyne Didi inquiétante et révoltante, et surtout Maurice Garrel, immense dans ses deux ou trois monologues murmurés, frontaux, tenus comme c'est pas permis.
Cette distribution énergique, efficace, audacieuse, oblige Garrel à accelérer sa mise en scène, et c'est plutôt un bien. Rego traverse le film avec une belle énergie, et on dirait que le réalisateur est obligé de monter son film plus "court", plus nerveux : courtes séquences, ramassées dans un seul déplacement, une seule phrase, parfois juste un flash (magnifique ellipse finale sur la mort du père) ; côté ping-pong des dialogues, pour une fois jamais lourds grâce à cette vitesse d'éxecution (la conversation au taquet avec Olivier Perrier) ; préférence pour les plans qui se déplacent (trains, marches, voitures, etc.) plutôt que pour les habituelles "salles de bain" du cinéma d'auteur à la con (il en reste quelques-unes, mais on lui pardonne, c'est un passage obligé) ; précision et urgence des gestes des personnages, surtout lors d'une séquence impressionnante qui montre Rego en plein travail de peinture, dans une partition de cadres, de bruits, et de mouvements. La lumière est étonnament solaire et pleine de vie, ce qui est plutôt inhabituel chez Garrel ; et le gars se permet même quelques trucages, dans deux ou trois scènes de rêve, saccadées et légèrement décalées. Malgré quelques tics agaçants (la musique jazzy ordinaire, un léger flou dans la contruction dramatique, un scénario pas forcément fascinant et assez nombriliste), Le Coeur Fantôme est précieux et fragile comme une toute petite chose.
Garrel soûle ou envoûte ici