Naissance des Pieuvres de Céline Sciamma - 2007
Intéressant de voir ensemble Et toi t'es sur qui de Lola Doillon et ce Naissance des Pieuvres, rien que pour constater que sur un sujet semblable (l'éveil de l'émoi amoureux chez les ados), on peut aussi bien se planter que réaliser une merveille. Sciamma réussit partout où Doillon s'est trompée. Principalement en traitant ce difficile passage de l'enfance à l'âge adulte non par les mots, mais par les corps et le mouvement. De ce côté-là, la mise en scène est parfaite. En situant ses personnages dans le monde de la natation synchronisée (ça surprend, mais le fait est que ce sport est infiniment cinégénique), la réalisatrice fait preuve d'une grande intelligence : les premières scènes sont effectivement consacrées à des jeunes filles souriantes et un peu ridicules entourées de mouvements de flotte, de bruits secs, de claquements de mains. Le sujet est annoncé, là, en deux minutes : il va être question de remous, de jeunes corps trop à l'étroit, de filles qui veulent faire exploser leur univers en s'agitant désespérément à l'intérieur.
Sciamma va donc passer son temps à filmer des corps, à en parler, à en montrer les différences, à en pointer les problèmes. Le sexe est bien sûr le point central du récit, comme dans tout film sur l'adolescence qui se respecte. Mais cette fois, on évite totalement les poncifs, en inversant les motifs : la bombe blonde est celle qui saura le moins gérer son potentiel érotique, la fille un peu trop ronde est celle qui s'avèrera la plus émancipée du petit groupe. Nage, danse, baise, tout est dirigé vers ce mouvement désordonné, et tout est juste. Peu de réalisateurs ont su ainsi toucher du doigt cette façon unique qu'ont les ados de bouger, ou de rester immobiles. Magnifique plan, d'ailleurs, que celui de cette jeune fille en train de danser lascivement face à un mec alors que sa copine reste plantée juste à côté les bras ballants.
Subtil et fin, Naissance des Pieuvres ne cède rien à la tentation de la sentimentalité. Ca serait trop facile de refaire La Boum. Sciamma préfère retenir l'émotion, quitte à donner à son film un aspect un peu froid dans sa première moitié. Quand elle lâche la bride, quand elle nous emporte brusquement au coeur de son sujet, l'émotion en est décuplée, puissamment amenée. Les derniers plans donnent les larmes aux yeux, non pas parce que c'est triste, mais plutôt parce que la note juste est trouvée, un peu comme un vers de Racine, disons, quand l'harmonie est là. La beauté, quoi. Grâce à une musique impeccable de Para One, mais surtout grâce à sa mise en scène hyper-maîtrisée et intelligente, ce trésor de finesse vient rejoindre d'autres grands films sur l'adolescence au sens "cinétique" du terme (j'ai du vocabulaire), comme L'Effrontée ou Carrie. Le cinéma ne devrait être que ça : l'enregistrement de corps en mouvement. (Gols 16/09/07)
Je commence là où mon confrère a terminé, tant je n'ai pu m'empêcher de penser tout du long à L'Effrontée - et cela est d'autant plus troublant que L'Effrontée commence (le fameux saut dans le bassin effectué du plongeoir) là où se termine pratiquement Naissance des Pieuvres. Non point au niveau de la forme - Sciamma fait preuve d'une maîtrise visuelle et sensible d'une grande originialité, ce que Gols décrit parfaitement d'ailleurs, rien à rajouter, diantre - qu'au niveau du trio autour duquel se construit l'histoire. L'héroïne est tiraillée entre son amie qui est à la fois sa seule vraie confidente mais qu'elle a aussi l'impression de tirer comme un boulet - comme des souvenirs d'enfance dont elle voudrait se débarasser (la chtite Lulu dans L'Effrontée) - et ce modèle, la nageuse blonde, qu'elle idéalise malgré les multiples déconvenues qu'elle lui fait subir (l'adoration de Charlotte pour la pianiste qui finit par l'ignorer dès qu'elle part pour d'autres aventures). Certes, cela constitue finalement un scénario assez classique pour illustrer cette période de transition et de transformation faites de multiples hésitations et de doutes: l'héroïne ne cesse ses allers et retours entre ses deux amies ne sachant jamais vraiment avec laquelle elle se sent le plus à l'aise, entre le confort de l'amie fidèle et la fascination de l'"inconnue". Il y a également de mutliples petites pointes d'humour (vous ne regarderz jamais plus un plafond de la même façon) venant souvent de tous ces petits mensonges que l'on raconte à cet âge pour cacher ses inhibitions ou ses véritables désirs.
Céline Sciamma fait preuve d'un immense talent pour son premier film, ne noyant jamais son film sous des dialogues inutiles et faisant preuve d'une grande attention envers la direction de ses jeunes comédiennes. Le film sonne juste de bout en bout, évacue complètement le monde des adultes comme pour mieux nous montrer les tourments de l'adolescence, qui constitue un monde en lui-même, et fait preuve d'une grande sensibilité dans la façon de filmer ces corps en éveil. Une vraie perle de bassin pleine de fraîcheur. (Shang 08/04/08)