Stalker (1979) d'Andrei Tarkovski
Stalker est l'oeuvre cinématographique qui ressemble sûrement le plus à un long poème existentiel aux confins de l'imagination. Un passeur (un intermédiaire, un créateur, Tarko?), un écrivain un peu à la ramasse en mal d'inspiration et un professeur qui réserve un sale coup dans son sac parviennent dans une zone, sorte de camp de concentration en négatif, puisque en ce lieu-même se trouverait un endroit où l'on puisse réaliser tous ses voeux, tous ses désirs.
Peut-on, doit-on dire quelque chose de plus ? Il y a tellement de gens, cela dit, qui portent Tarkovski aux nues sans avoir absolument rien compris (c'est beau, ouais) ou sans avoir rien vu (le plus classique) qu'il est bon peut-être d'en rajouter pour la forme - bon ça c'est dit. Certes au niveau de l'esthétisme on est proche de la perfection - images sépias et blanches, décors suintants - qui ressemblent à des égouts de l'âme - réalisés par le maître himself, plans aussi réglés que du papier à musique. Au niveau du sens, on est dans un véritable dédale métaphorique, entre parcours initiatique, voyage dans l'imaginaire, parabole sur la force de l'espoir et de la croyance - en Dieu, en soi... c'est pareil non ?- ou encore critique des intellectuels et des forces au pouvoir dans tout état totalitaire - le gouvernement soviétique, ça marche aussi. Il y a d'ailleurs comme un cri de désespoir à la fin du film lorsque le Stalker/passeur, couché, épuisé, semble ne plus croire lui-même à l'utilité, au sens de sa fonction, comme si le régime avait fini par tuer toute velléité, tout espoir au sein d'un peuple. Il n'y a rien d'étonnant d'ailleurs au fait qu'il s'agisse de la dernière oeuvre de Tarkovski en URSS avant qu'il choisisse l'exil - décision déchirante pour cet artiste profondément ancré dans sa culture qui le hantera dans toutes ses dernières oeuvres.
Si chaque plan peut se regarder comme un tableau potentiel, il faut laisser aller son sens de l'interprétation personnelle pour parvenir à naviguer dans les eaux troubles du Tarko. Pas de recettes bien sûr puisqu'on a affaire à du sensible, mais quelques pistes qui émergent ici ou là; ainsi cette salle qui sert d'ailleurs d'illustration pour l'affiche ressemble tout autant à un désert (la difficulté de la création, les doutes du créateur ?) qu'elle s'apparente au multiples accidents et surprises du destin. L'écrivain se lance d'ailleurs dans un long discours sur la portée de la création une fois parvenue en son centre. Il est aussi question d'un chien noir - symbole de la mémoire (comme chez Modiano), de l'affection, de la fidélité ?- qui ne cesse de poursuivre le créateur dans ses songes jusqu'à le rejoindre de l'autre côté du miroir lorsqu'il retourne chez lui (création qui se matérialise...). Icônes religieuses au fond de la rivière, arme qu'il faut cacher pour ne pas déchaîner la violence, obsession des "systèmes d'écoute" (ce téléphone qui sonne au milieu de nulle part), il y a certains signes qui en disent long sur l'oppression du pouvoir en place... Comme un diamant aux milles facettes, la richesse d'interprétation est infinie. Encore faut-il se donner la peine de suivre ce long voyage intérieur (ah j'en vois qui dorment au fond) et de croire à la force de son propre imaginaire : celui-ci d'ailleurs, dans l'ultime séquence, est même capable parfois de déplacer des verres, à défaut des montagnes. (Shang - 20/09/07)
Le temps d'essuyer le filet de bave qui a coulé le long de ma bouche, de m'ébrouer quelque peu et de retomber sur terre, et je m'en vais vous dire ce que j'ai pensé de Stalker.
Voilà.
Alors... alors, je n'en pense pas grand-chose, force m'est de le constater. Mon poteau a sûrement raison dans les multiples lectures qu'on peut donner à ce long (très long) rêve éveillé, et celles qu'il donne sont ma foi tout à fait crédibles. Seulement, moi, je n'ai pas marché. Toujours eu un peu de mal avec ces films purement théoriques (remember L'Année dernière à Marienbad, aaarghh !), qui érigent la philosophie comme moteur de leur fiction, et qui du coup en oublient de filmer des corps, de trouver des formes... Ca va en faire hurler plus d'un, et je reconnais que je dois avoir tort. Mais voilà : pour moi, Stalker est juste un solide somnifère, certes beau comme un camion, mais surtout très chiant. Tarkovski aurait d'ailleurs dû creuser la veine "campagnarde" de son film : la longue promenade de ses personnages au sein d'un décor de campagne profonde, que le "passeur" emplit de dangers par la seule force de son imagination, est bien plus convaincante que ces interminables plans-séquences d'un esthétisme à la limite du précieux sur des tunnels, des cours d'eau cradasses ou des trains lourds de symboles. Quant aux dialogues, qu'on dirait écrits par un Bernanos sous neurasthéniques ou par un de ces auteurs de science-fiction qui se piquent de philosophie, ils vous sortent par les oreilles : non seulement la moindre phrase met environ 8 heures à être énoncée, mais quand elle sort, c'est pour mieux vous assommer sous la charge de sa thèse.
Stalker, c'est tout à sa gloire, donne envie de (ou en tout cas, nécessite l'acte de) se ruer à la Bibliothèque Nationale pour tenter d'en décrypter les arcanes à grands coups de références pointues. Mais j'ai tendance à préférer les films peut-être un poil moins beaux, peut-être un chouille moins prodigieusement érudit, mais aussi plus physique et moins crâneur. Aïe, pas taper. (Gols - 17/03/08)