Little Odessa de James Gray - 1994
A priori, un bon vieux film classique que ce Little Odessa de bonne facture : références respectables, de Mean Street aux films de Ford, acteurs tout en jeu rentré (Tim Roth qui garde une seule expression du début à la fin), intrigue linéaire, simple et élégante, photo magnifiquement travaillée dans les clairs-obscurs à la Rembrandt... Tout est réuni pour livrer un polar d'une belle noirceur, sur fond de conflits familiaux, d'héritages de fratries, et de désespoir sec. Et c'est vrai que le film se regarde avec émerveillement, impressionnés qu'on est par l'application "vieille école" de la mise en scène, d'une élégance discrète, d'une ampleur sans esbrouffe. Cette histoire de tueur professionnel qui revient dans son quartier et retrouve ses parents, sa copine, et surtout son jeune frère admiratif (Furlong, très bon) est certes peu novatrice, mais tellement bien assumée par Gray, qui s'en sert pour livrer toute une réflexion sur les liens familiaux et le destin, qu'on ne peut qu'adhérer.
D'autant que l'a-priori premier (le classicisme) est vite réfuté par une thématique cachée dans le film, une sorte de deuxième lecture, qui fait passer Little Odessa dans une catégorie beaucoup plus intéressante : Gray veut peut-être bien parler, finalement, de la destruction d'une entité familiale, en l'occurence une famille d'immigrés russes juifs, et donc de la Shoah. Roth joue une sorte d'ange de l'enfer, malhuereux mais radical, qui va venir "nettoyer" sa famille sans vraiment le vouloir. Depuis cette réplique étonnante qu'il prononce avant de butter un de ses compatriotes ("Tu crois en Dieu ?... il a dix secondes pour te sauver") jusqu'à la magnifique scène où il est à deux doigts de tuer son père, c'est toute une thématique mystique et historique que le personnage endosse : la communauté est dynamitée par le seul "pêcheur" de la bande (même si les autres ne sont pas tout à fait innocents), déployant une réflexion assez profonde sur la responsabilité collective (grand thème biblique) et la conscience morale. Le monde de Roth va s'effondrer devant ses yeux, lentement, l'enfonçant doucement dans des ténèbres que soulignent bien la lumière et la musique du film. Little Odessa en sort gonflé, et malgré quelques lourdeurs d'écriture, apparaît comme beaucoup plus ample que prévu. Au sein de cet univers rongé de l'intérieur, le cinéma devient le seul refuge du jeune Furlong (belles références fordiennes), mais lui aussi déjà impuissant (la pellicule crâme sur la fin d'un western). Belle profondeur au final, alliée à une classe indéniable dans la mise en scène. Convaincu, donc.