La Nuit nous appartient (We own the Night) (2007) de James Gray
On est tellement saturés de polars qui s'inspirent du cinéma asiatique et qui font dans la surenchère d'action, que quand un truc comme We own the Night nous arrive dessus, on est tout étonné de découvrir que le classicisme peut encore fonctionner. Gray se la joue à l'ancienne, dans un filmage sobre, un scénario calibré, des acteurs au taquet. ll y a tellement eu déjà de couches et de surcouches sur le genre policier au ciné que son style dépouillé, à la papa, apparaît comme très moderne. En tout cas, le film est très class, qui refuse de se la jouer, qui choisit toujours l'option la plus aride et la plus simple quand il s'agit de savoir où placer sa caméra et comment raconter une scène.
Non que le film manque d'originalité ; mais c'est une originalité qui vient de la réinvention du genre plus que de l'invention d'une nouvelle forme. Bien sûr, c'est à Melville qu'on pense en premier, dans cette description quotidienne de la vie des flics moyens (décors très réalistes, et belle approche des relations entre truands et policiers), et aussi dans l'hyper-réalisme des scènes d'action : il y en a trois en gros ; l'une montre une fusillade presque illisible tant le héros est dépassé par l'évènement, et est un très bel essai autour de la subjectivité du point de vue ; la deuxième est la plus belle, une course-poursuite sous la pluie, où les coups de feu claquent sec et droit, une exécution sans pathos, sans suspense ; la dernière, moins belle, est une traque dans un champ de blé, où encore une fois tout est vu presque de loin, mathématiquement. A chaque fois, Joaquin Phoenix est débordé, et l'action lui arrive dessus sans qu'il ne la comprenne, brutalement et sèchement. On est loin de John Woo : pas d'esbroufe, pas de spectacle. Le simple enregistrement d'évènements incontrôlables.
Bon, ce qui est moins bien, c'est le scénario, attendu dans sa plus grande partie, puis franchement too much quand Gray essaye de sortir des schémas pré-établis. Tout semble tracé à l'avance, sans que cela donne une quelconque dimension tragique à l'ensemble. Cette histoire de fraternité douloureuse, de recherche de l'admiration paternelle et de morale vacillante est sur-écrite et peu intéressante. Côté acteurs, si Phoenix et Duvall sont vraiment bien, on regrette la pâleur de Wahlberg et surtout le manque d'expression bottoxé de la piètre Eva Mendes, qui ferait mieux dans une pub pour Chanel que dans un film policier. Elle a un côté potiche absolument insupportable. Mais tout ça mène quand même à quelques bribes de trame intéressantes, comme cette subtile inversion entre "bons" et "méchants", notamment dans les scènes du début : on y voit le "voyou" Phoenix aux prises avec un gang de policiers propres sur eux qui sont bien plus effrayants que les bandits eux-mêmes. Cette impression sera confirmée par la suite, le personnage du fils maudit prenant une dimension sacrificielle que n'aurait pas reniée Ferrara.
Scénario balisé, mais mise en scène d'une grande élégance, donc, si on oublie quelques tentatives peu payantes (la caméra à l'épaule, c'est pas son truc, à Gray). Un film sec et froid, avec des petits bouts de destinée fatale dedans, parfait. (Gols - 04/01/08)
On a tout de même affaire à de l'excellent polar, d'un grand classicisme et je suis peut-être un poil plus emballé que mon collègue. Joaquin Phoenix est une fois de plus excellentissime, portant une grande partie du film sur les épaules : imaginez, le type à tout (attendez, je nuance...) : de la réussite en veux-tu en voilà, une copine vulgaire à souhait (ouais c'est juste pour chambrer Gols), de la coke jusqu'aux narines, une famille qu'il s'est réinventée, bref, il nage dans l'extase. Juste un léger problème, il est po du bon côté. La réussite de James Gray est de nous le montrer nager dans le bonheur dans un premier temps et d'affadir à l'extrême, sous des lumières blafardes, la soi-disant consécration de son frère dans la police sous l'égide de son pater. Franchement, à première vue, on se dit qu'il a sûrement choisi la bonne option vu les tronches que tirent les gens lors de cette réunion de flics un poil pathétiques et aussi guindés qu'un costar de Sarko.
Gray va simplement retourner peu à peu la situation comme un gant et offrir un come-back dans le droit chemin du Joaquin, réalisant que la poudre dans le nez est aussi synonyme de poudre aux yeux. C'est certes un peu convenu ; ce final où il fait littéralement mettre un genou à terre aux méchants avant d'écouter la bonne parole de ses pairs flicards se devine même d'assez loin, mais entre-temps Gray nous offre une mécanique infernale d'une grande maîtrise. La musique variétoche du début laisse place à un son de cloche assourdissant semblant sonner la dernière heure, les bright lights de la boîte de nuit partent en fumée dans le champs de blé lorsque l'histoire parvient à son dénouement, le visage hilare et vainqueur du Joaquin de la première scène est devenu lui totalement fermé. Gols évoquait les trois scènes d'actions incontournables du genre (fusillade, poursuite en caisses, traque) et elles possèdent en effet toutes une intensité qui cloue le spectateur dans son fauteuil. On pourrait définitivement lui laisser une chtite place dans le top ten 2007. Gray est définitivement brillant. (Shang - 28/02/08)