La Porte de l'Enfer (Jigoku-mon) de Teinosuke Kinugasa - 1953
Je pensais bien avoir vu toutes les Palmes d'Or de l'histoire, eh bien, non, il me manquait cette Porte de l'Enfer qui ressort en ce moment drapé de toutes ses couleurs, comment dire, volontaires ?
Oui, parce que ce qu'on retient avant tout (et même seulement) du film, ce sont les couleurs, vantées sur l'affiche et effectivement incroyables. Le gars Kinugasa n'est pas avare en gouache, et s'en donne à coeur joie, surtout dans les orangés (surréalistes) et les pourpres (pour draper des chevaux qui en ressortent du coup pratiquement en relief). On sent que c'est ce qui a le plus captivé le réalisateur : exprimer les sentiments et les tableaux par la couleur, en rechercher les possibilités émotionnelles et visuelles. De ce côté-là, il faut le reconnaître, c'est bluffant, le film est magnifique à regarder, et l'audace dans ce domaine va jusqu'au bout du bout. Ca fonctionne surtout, curieusement, sur les gros plans statiques sur les visages de la jeune fille, saturés de jaune et de rouge, dans lesquels la lumière aveuglante et les contrastes amènent une émotion que l'actrice aurait été incapable d'exprimer seule.
Pour le reste, ma foi, c'est oubliable, même si on se marre bien devant les grimaces profondes du jeune premier (58 ans, mais il veut en faire 21). L'histoire est assez jolie : un samouraï tombe amoureux d'une femme mariée, mais il se met en tête de la posséder coûte que coûte, malgré son refus à elle, malgré le refus de son mari (un grand sage avec une tête de niais), malgré l'empereur lui-même. Dans son obsession, il ira jusqu'au meurtre et à la folie. Kinugasa a ceci de précieux qu'il ne se réfère à aucune culture étrangère. Ce n'est pas Kurosawa, et il met son point d'honneur à servir un film 100% japonais, flirtant avec le no et l'épopée. La Porte de l'Enfer est ainsi joliment étrange, jouant sur des rythmes très personnels, et une construction inattendue (le film biffurque au premier tiers, passant de la fresque historique à la tragédie intime). On sent le poids de chaque geste, de chaque expression, et si les acteurs étaient un peu meilleurs, on ressentirait sûrement le poids du destin avec une grande force. En l'état, ça reste une curiosité bon enfant, le témoignage d'une époque et d'une culture. Point final, mais c'est déjà pas si mal.