LIVRE : L'été où il faillit mourir de Jim Harrison - 2006
Encore un de mes amours de jeunesse qui ne m'a jamais quitté. Jim Harrison m'est précieux comme un petit bout de nostalgie américaine, et j'ose dire que certains de ses bouquins ont bouleversé complètement mes rapports avec les livres, et donc avec la vie.
L'été où il faillit mourir est de la meilleure veine de Jim. En trois longues nouvelles, c'est même un condensé de son écriture qui nous est offert. La première est la suite des aventures du fameux Chien Brun, qui apparaît dans nombre des chefs-d'oeuvre du gars, et qui déclenche aussitôt du plaisir chez moi. Le bougre n'a pas changé, complètement inadapté aux contingences sociales, politiques, philosophiques de l'Amérique, un anti-héros qui rappelle les grands personnages de Thoreau ou de Caldwell. La nouvelle est très drôle, écrite dans le rush, sur un rythme incroyablement dosé, pleine de personnages attachants à mort (la petite fille autiste est une tuerie d'invention et de "behaviourisme" bien digéré). Il en ressort une douce mélancolie, une tristesse sourde jamais imposée, très subtile, respectueuse et fine. Le talent de conteur de Harrison, son amour des animaux, de la nature, et des gens y transparaissent dans toute leur splendeur. Immense nouvelle, une école...
La deuxième nouvelle, plus inattendue de la part de Jim, fait parler trois femmes différentes, qui ont toutes couché avec le même homme avant d'essayer de le tuer. Très réussie également, elle montre que Harrison n'est pas que l'écrivain viril auquel on le réduit scandaleusement. S'y expriment une sensibilité contemporaine et urbaine inhabituelle, une interrogation sur l'amour et la trahison de la plus belle eau, et un style plus "développé" que d'habitude. Humour et amertume sont dans un bateau...
Enfin, la dernière nouvelle, "Traces", est la plus belle si on veut vraiment comprendre le gars Jim. Autobiographie condensée (enfance-adulte-vielliesse), c'est un exemple de concision et de tempo. Les anecdotes de Harrison font la plupart du temps une phrase, jamais plus de deux. Le texte, pourtant très fluide, fait passer par des dizaines d'états en un seul paragraphe. Pas de coq-à-l'âne, une sorte de logique interne malgré l'impression d'"en-vrac". Contrairement à Hemingway (qui "l'agace"), la concision n'est pas ici une tentative d'épuration, mais une recherche de l'harmonie rythmique de l'ensemble, une petite musique, qui a fini par s'installer définitivement dans les bouquins de Harrison, et qui atteint une plénitude totale. Musique triste comme un petit bidule de Schubert. Je sais pas si je suis clair, là, mais bon...
Un pur bonheur de lecture, après De Marquette à Veracruz qui m'avait semblé un poil trop dense et ambitieux. Harrison devrait servir de modèle à tout écrivain. J'ajoute que la traduction est impeccable. (Gols - 13/04/06)
Après les légères déceptions de ses deux derniers romans, ce recueil de trois novellas est un vrai bonheur, la suite des aventures de Chien Brun étant toujours aussi passionnante et humaine (la veine indienne d'Harrison est bien la meilleure - adorable héroïne que cette petite fille handicapée mentale qui reste la seule à pouvoir communiquer avec la nature... et si elle était la seule vraiment saine...?), ce trio de femmes républicaines donnant chacun leur point de vue étant bluffante stylistiquement (la veine féminine d'Harrison est bien la meilleure), ce raccourci autobiographique étant enfin une merveille de poésie et de nonchalance (la veine autobiographique d'Harrison est bien la meilleure). Que mon co-blogueur qui a fait traverser les frontières à cette œuvre jusqu'en Chine, au péril de sa vie, (ouais, un peu trop lyrique peut-être?) be blessed, il y a vraiment là-dedans du grand Harrison. Je ne vais point répéter ce qu'il en a dit (et pis la flemme aussi quand même un peu) mais juste deux-trois citations pour la route, pour l'humour, le style dévastateur et les phrases lapidaires "de la mort" sur la vie:
"Delmore s'écriait souvent que Charles Boyer touchait davantage de culs qu'un siège de toilettes"
"Puis Chien Brun retourna jusqu'à la maison de Delmore, où Belinda ronflait toujours doucement sur la balancelle de la véranda, la tête penchée, si bien que le clair de lune accordait à sa joue la pâleur du rêve. C.B. frémit de reconnaissance. Voilà de longues années que tout n'était pas rose dans sa vie, mais il avait maintenant sous les yeux le cadeau inespéré de cette fille formidable et solide qui était de surcroît une dentiste hors pair. S'il n'avait pas abandonné sa religion, il serait tombé à genoux de gratitude. Il s'agenouilla quoi qu'il en soit et bientôt Belinda se laissa glisser de la balancelle afin qu'ils puissent se livrer à leurs ébats, tels deux mammifères ivres d'amour et indifférents au raffut qu'ils pouvaient bien faire."
"La vie ne semblait pas davantage façonnée par la logique que l'eau vive autour de lui".
Viva Harrison, viva Matthieussent. (Shang - 15/12/07)