Othello (The Tragedy of Othello: The Moor of Venice) (1952) d'Orson Welles
Ce n'est point moi, petit blogaillon, qui vais remettre en question le génie de Welles; si on parle de profondeur de champs, c'est un demi-Dieu, de l'utilisation des décors (surtout quand ceux-ci sont signés Trauner), c'est un demi-pharaon, du sens de la contre-plongée et des cadres de biais c'est un demi-Bouddha. Certes le tournage d'Othello s'est étalé sur quatre ans -cinq directeurs de la photo quand même!, le montage a bien dû tuer une demi-douzaine de monteurs et je ne parle point du fait que la nouvelle version supervisée par sa fille n'ait pas reçu forcément l'aval de maître. Ajouter à cela une langue shakespearienne sous-titrée en anglais par des Chinois qui ne doivent pas savoir ce qu'est un vers, on a quand même po mal d'handicaps. Bref, il faudrait presque que je le revois sans le son pour me plonger complètement dans cette adaptation, ou encore que je subisse une cure de désintoxication des plans-séquences de Fassbinder pour être à même d'apprécier ce montage musclé (on peut pas dire que je ne prenne pas mes précautions avant de parler de Welles - oui, j'en prendrais moins avec Yves Boisset on est d'accord)
Bref, il faut reconnaître toute la patte du Welles dans cette magnifique séquence d'ouverture (ces cercueils d'Othello et de Desdémone qui progressent à 2 centimètres à l'heure sur une musique envoûtante, le cadre faisant d'un terrain plat une pente à 24 degrés pendant que le Iago se débat, petit être minuscule, dans sa cage métallique); il en va de même pour cette scène dans les bains turcs où on prend (enfin...) le temps pendant deux minutes d'installer une vraie ambiance; j'aime aussi beaucoup le plan d'Othello dans un miroir déformant la première fois que Iago émet un doute sur la fidélité de Desdémone, et l'apparition juste après de cette même Desdémone dans ce miroir, comme si le doute avait déjà fait son chemin et transformé sa vision; pareil pour ces ombres de "poutrelles imbriquées" qui prennent possession du décor quand Othello est pris de panique, et toute la fin du film, jouée par un grand Welles, est une leçon de cinéma sur les ombres et la lumière (la tête de Welles dans la pénombre, glaçant). On pourrait multiplier les dizaines de petites trouvailles (Othello, désespéré, plus petit qu'un hobbit dans un décor démesuré avec une focale de ouf) absentes de l'intégral d'Yves Boisset ou d'Alain Jessua.
Mais bon, bizarrement, sur l'ensemble, j'ai été on va dire un peu dérouté, et j'ai eu du mal à vraiment rentrer complètement dans le film; à peine a-t-on le temps de s'attacher aux liens qui unissent Othello à Desdémone que pouf Iago entre en scène, et les séquence de s'enchaîner sur un rythme un peu déstabilisant; que cela accentue le flip d'Othello qui perd rapidement tous ses repères, pourquoi pas, mais parfois on a surtout l'impression d'être dans un flipper où on perd un peu le contrôle de la bille, de l'intrigue, d'un fil conducteur; c'est foisonnant mais parfois un peu "bordélique" dans les transitions pour résumer (Dieu, oui j'ai péché). On ne peut pas dire non plus que le charisme des autres acteurs aide particulièrement, Welles éclipsant définitivement tous les autres de son ombre gigantesque. Alors voilà, cela n'engage que moi mais cette version d'Othello m'a presque autant impressionné que désarçonné (au sens négatif). Bon je ne lui en veux point, remarquez, et n'en tiendrai point compte pour son bulletin de fin d'année.