Le Rivage des Murmures (A costa dos Murmúrios) de Margarida Cardoso - 2004
Un petit film portugais, non ? C'est assez rare en France pour le relever et pour ouvrir un oeil bienveillant sur ce Rivage des Murmures de fort bonne tenue. On n'est certes pas dans le grand chef-d'oeuvre, que ce soit au point de vue formel ou au point de vue du scénario, mais le film est assez beau dans sa lenteur, et on sent que Cardoso a regardé les bons films avant de se lancer dans son premier long métrage de fiction : en vrac, il y a une petite touche d'Antonioni dans ces beaux cadres du début, notamment lors d'une magnifique scène de forêt où la réalisatrice se joue des profondeurs de champ et de l'immobilité de ses personnages ; une petite louche du Resnais des débuts dans cette histoire qui s'amuse à allonger le temps, à placer une femme face à des hommes dans un rapport au temps bien plus que dans un rapport social ; et peut-être une once de Saura dans ce personnage en butte à un univers surrané, et qui se rebelle contre icelui sans violence, sans presque agir.
Si le début et la fin du film sont peu intéressants, prisonniers d'une trame sur-écrite, trop lourde dans les symboles (le massacre d'un troupeau de flamants roses, un flot de cadavres dans les rues), trop asservie à une narration début-milieu-fin, toute la partie centrale emporte l'adhésion : on y voit une femme déracinée (elle vient du Portugal mais vit au Mozambique) contrainte d'attendre un mari militaire parti au combat, et qui découvre "à distance" les lâchetés et monstruosités de ce dernier, en même temps que le triste sort du pays colonisé et spolié (j'adore ce mot). Avec pas grand-chose, des dialogues simplissimes, des gros plans sur des objets, une façon jolie de filmer les paysages, de capter la lumière, Cardoso rend cette partie-là assez belle, en trouvant un style audacieux dans ses rythmes et attentif dans ses longueurs de plans. Elle est bien aidée par une actrice assez formidable, très belle alors qu'elle est bien loin des canons de beauté classiques, endossant avec grâce un rôle pas simple (aussi bien une rebelle refoulée qu'un archétype féministe, aussi bien une femme amoureuse qu'un fantôme triste). Le film prend son temps pour la regarder et pour faire exister une trame qui fonctionne sur presque rien, ou presque sur le rien pour être plus précis. Le Rivage des Murmures est finalement intéressant et bien chaloupé, bravo.