La Dernière Séance (The Last Picture Show) de Peter Bogdanovich (1971)
C’est en regardant ce film de 71 qui n’a pas pris une ride (moins que Jeff Bridges, Cybill Shepherd ou Ellen Burstyn) que je me rends compte à quel point les productions indépendantes, les petits films présentés à Sundance, ont tenté de pomper des dizaines de fois ce film. Il y a tout simplement certains films qui possèdent un charme, que cela tienne à son étrange atmosphère (cette petite ville du Texas est plus déserte que Moulins, Allier), à la jeunesse de ses acteurs (un étrange teen-moovie où chacun a droit à ses premières expériences troublantes rapidement suivies des premières désillusions), à l’aspect à la fois désuet et éternel (on dirait du Modiano) d’une époque (un film réalisé au début des années 70 sur les années cinquante)… Bref, un classique pour son honnêteté, son réalisme, sa fraîcheur, sa sincérité, blablabla…
Dans cette petite ville on suit le destin de plusieurs personnages : les deux potes inséparables Sonny et Duane qui s’engueuleront forcément pour une fille avant de se rabibocher, cette jeune fille justement que sa mère met en garde contre la lassitude – ne pas s’engager aveuglément avec qui que ce soit, elle sait de quoi elle parle - et qui se lance dans ses premières expériences sexuelles avec plus ou moins de réussite et d’engagement (superbe séquence dans une voiture avec en musique de fond Blue Velvet, qui n'a pas dû laisser Lynch indifférent en d'autres temps), une femme d’une quarantaine d’années abandonnée par son mari, qui traque la gorette, et qui retrouve une seconde vie dans les bras de Sonny, un vieux tenancier d’un bar de billard, Sam le lion, à la crinière chenue,… Toute une galerie de personnages, d’ados surtout, qui se frottent à l’absence de distraction dans ce bled – même la salle de cinéma qui n’attire pas les foules fermera – et tente de grandir comme partout entre une bière, une gonzesse et des virées.
La grande réussite de Bogdanovich, c’est de trouver la parfaite distance dans toutes les scènes qui touchent à la sexualité, sûrement les plus difficiles à filmer : être pudique sans se faire pudibond – un sein est un sein, un corps est un corps ; filmer les choses telles qu'elles arrivent sans en rajouter des tonnes : une jeune fille se déshabille devant une assemblée à poil dans une piscine et l’on sent tout son orgueil à la fois à faire comme les autres et sa grande gène d’effectuer ces gestes pour la première fois. Qu’il s’agisse des premiers attouchements dans une voiture ou des scènes d’amour dans une chambre de motel, on ne tombe jamais dans le rodéo de l’exploit sexuel et tout se fait avec une grande maladresse, tendresse, délicatesse, ou finit en fiasco... Cet aspect est réellement remarquable car très rares sont les metteurs en scène à pouvoir se targuer d’une telle sensibilité dans ce genre de scène.
Il en va de même dans l’évolution des caractères de chacun : Sonny se fait discret, touchant lorsqu’il s’occupe d’un ado un poil attardé qui passe son temps à balayer les rues mais également lâche dans sa défilade avec la quadra ; Duane se veut plus costaud mais morfle grave devant les rebuffades de sa chtite copine et finit par s’engager dans l’armée plus en désespoir de cause que par bravade. Ce petit monde, avec ses petits sentiments et ses petits tourments, se retrouve lors de deux séquences au vieux cinéma du coin qui sont comme des jalons dans leur évolution – de la découverte, des espoirs aux retrouvailles avant la séparation – et la fermeture définitive du cinoche : c’est la fin de toute une époque, en même temps que la fin de leur adolescence : peut-être la plus belle, sans doute la moins facile. Je me referai bien une petite séance, moi.