LIVRE : Dans le Café de la Jeunesse Perdue de Patrick Modiano - 2007
Avec Modiano, on est dans l'horlogerie suisse, le genre de bouquins qui payent pas de mine mais qui recèle sans en avoir l'air une petite musique très prenante. Impossible de mettre vraiment des mots sur ce qui fait le style du gars : c'est une sorte de magie, de livre en livre, une alchimie qu'on sent savamment pesée et pensée, qui fait que les mots rentrent dans la tête, en même temps que cette minuscule mélancolie précieuse. Pourtant, Modiano utilise les mots les plus simples du monde, la construction de phrases la plus fluide. mais ça fonctionne, et on est bluffés par ces trésors de finesse qui viennent de rien de visible. La magie de la littérature, sans doute, son essence même. Encore une fois ici, il part sur les traces d'une jeune inconnue qu'il a croisée quelquefois dans un café du Paris d'avant, ombre éphémère, disparue à jamais, dont on ne sait rien, ou presque. Mais l'angle est un peu différent des autres livres de Modiano : il va tenter le portrait imaginaire de cette femme à travers plusieurs discours, plusieurs personnages, des gens qui auraient pu la croiser, qui l'ont aimée, qui ont chacun leur petit bout de vie à raconter. Elle aussi sera amenée à parler. mais bien entendu, on n'en saura pas beaucoup plus sur elle à la fin du livre, et Modiano renvoie tout son petit monde au mystère d'un univers passé et qui ne reviendra plus. Il cite à tour de bras le mythe de "l'éternel retour", mais l'ambiance si joliment décrite d'un Paris des intellectuels dévergondés s'est bel et bien enfoncé dans la nuit, et le livre, au final, ne fait que décrire la fin inéluctable de quelque chose. La grande force de la chose, c'est que Modiano n'apparaît jamais comme un vieux con, malgré ce thème on ne peut plus nostalgique qui pourrait facilement déboucher sur le fameux "c'était mieux avant". Non, lui décrit seulement, tente de retrouver cette émotion à travers des faits, des chiffres, des adresses, des noms, à l'image de son personnage qui recense scrupuleusement dans un cahier l'heure d'arrivée de chaque client du bar. Dans le Café de la Jeunesse Perdue n'est peut-être pas le meilleur Modiano, à cause d'une fin un peu déjà vue, et d'une inspiration inégale dans le nombre des personnages qui s'expriment. Mais cette musique unique est bien toujours là, et c'est tout ce qu'on demande au gars.