Vacances (Holiday) (1938) de George Cukor
Il y a du Capra dans ce Cukor et c'est forcément un compliment : même si dès le départ on devine comment le scénario va évoluer (Cary Grant découvre, en allant pour la première fois chez elle, qu'il va se marier avec une richissime fille de famille - mais comme la sœur de cette dernière n'est autre que Katharine Hepburn, "la brebis galeuse" de la famille, pas besoin de vous faire un dessin)... Le Cary Grant avec son charme débonnaire et ses sauts périlleux tente de gagner les bonnes grâces du père et du reste de la famille mais rapidement il apparaît que son pire ennemi risque d'être sa future femme, engoncée dans ses principes... Et ben oui, parce que si le Cary vient de nulle part, a fait son trou dans le monde de la finance, il aspire seulement à prendre 2-3 années sabbatiques, le temps de réfléchir à l'intérêt de travailler... Ce n'est point l'argent qui le mène par le bout du nez, juste le rêve d'une vie à la coule. Forcément le père de sa promise et cette dernière vont se révéler être des murs face à ce qu'ils prennent pour une réaction de gamin de 17 ans. Ils n'ont pas forcément tort, mais comme 17 ans est encore l'âge des espoirs ils ont tort à mort (vous suivez?). Bref, comme la Katharine incarne justement la créativité, la spontanéité et tout le tintouin, le Cary finira bien par tomber dans les bras de la belle... Certes c'est pas une super idée de partir en vacances à Paris en 1938, mais cela risque de créer des liens entre eux.
Adapté d'une pièce de théâtre, rien n'est cependant immobile ici et les dialogues fusent dans tous les sens. Grant et Hepburn font preuve d'une complicité de grands gamins joueurs assez jouissive par rapport à la morgue de cette maison démesurée et à l'air amidonné du pater familias et de sa blondasse de sœur. Même les serveurs ont l'air plus au fait que les amis du Cary concernant "les bonnes manières" et franchement, ce genre d'endroit ne donne pas envie d'aller aux toilettes pour ne pas déranger. Encore une belle réussite de comédie américaine au ton étrangement optimiste pour l'époque... On sortait des années de crise des années 30, la menace de la guerre devait encore sembler loin... Le capitalisme n'avait point triomphé, eh non pas encore. (Shang - 19/10/07)
La vague des films de Noël réconfortants est lancée, et quel meilleur début que cette petite merveille ? Pratiquement que du dialogue dans ce film, c'est vrai, mais pourtant ça pétille dans tous les sens. Les acteurs , il faut dire, sont extraordinaires : non seulement Cary Grant est d'une légèreté folle, non seulement Katharine Hepburn est d'une profondeur magnifique, mais le défilé des seconds rôles tient la barre avec une maestria parfaite : Doris Nolan parvient à rendre son personnage à la fois détestable et attachant, et tient le rôle le plus casse-gueule du film : la fille aimée au début, qui se découvre vénale et intéressée, et qu'on délaisse ensuite pour plus belle et plus intéressante qu'elle ; Edward Everett Horton et Jean Dixon fabriquent un couple immature et craquant absolument inoubliable ; et Lew Ayres parvient à transformer son rôle un peu clicheteux de dandy alcoolique en vrai personnage tourmenté et touchant. Avec une telle troupe, le film qui aurait pu n'être qu'une bavarde adaptation d'une pièce de théâtre devient une succession de moments comiques de très haute tenue. Sur un sujet similaire par exemple (un couple mal assorti constitué d'une femme de la haute et d'un prolo), on pense au récent Simple comme Sylvain, et on voit toute la différence entre un génie et une tâcheronne : Cukor, lui, aime ses personnages, jusqu'au plus négatif (les portraits du père complètement dévoué au capitalisme et qui ne se rend même plus compte d'autre chose est un modèle de justesse), il se met à leur hauteur, ne juge pas, et même en vertu du rire, ne se permet aucun jugement moral.
Pourtant, les bourges comme les prolos en prennent plein la tête là-dedans. Mais tout est dans l'écriture et la mise en scène. Par exemple dans la splendide idée de cette maison à étages, tout en haut de laquelle Hepburn est enfermée comme une prisonnière dans la salle de jeu que plus personne ne fréquente, comme exclue de sa classe. Le personnage y gagne une beauté craquante : elle est la déclassée, celle qui est née au mauvais endroit, et sa douleur est grande de la constater. L'actrice, géniale comme toujours, teinte d'ailleurs plus souvent qu'à son tour son jeu d'une belle tristesse que Cukor s'empresse bien sûr de cadrer le plus simplement et le plus frontalement possible. La longue séquence centrale, celle de l'annonce des fiançailles des deux tourtereaux, est elle aussi une école de mise en scène : les riches font semblant de s'amuser en bas, tout n'est que conventions sociales et tactiques ; en haut, les cinq "déclassés" jouent aux marionnettes, chantent des chansons idiotes, font des acrobaties, comme si cette petite part de folie était nichée tout en haut du bâtiment-cerveau qu'est cette maison. Grant navigue entre les deux, de plus en plus mal à l'aise dans le milieu qu'il a pourtant choisi d'intégrer, et rejoint ainsi le glorieux rang des naïfs qui viennent bousculer les conventions de classe, ceux développés par les Capra et les Lubitsch. Vacances est un pur trésor de comédie sophistiquée. (Gols - 15/12/23)