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14 août 2007

LIVRE : Le Passage de la Nuit d'Haruki Murakami - 2004

muraJe partage avec mon co-blogueur une passion assez dévorante pour Haruki Murakami, mais j'avoue que j'ai attaqué ce Passage de la Nuit avec appréhension, le livre étant précédé d'une mauvaise réputation. Dans ses mauvais moments, HM peut être assez chiant (Les Amants du Spoutnik ou Après le Tremblement de Terre), et j'avais peur de cette veine-là.

Eh bien, les critiques ont eu tort : ce livre est génial, et je viens de le lire deux fois d'une traite en restant soufflé par le miracle d'une écriture et d'une trame sidérantes. Ce roman pourrait bien être le plus ambitieux de son auteur depuis bien longtemps, et marquer la naissance de nouvelles explorations dans son oeuvre pourtant déjà assez variée. Murakami lorgne du côté du cinéma, sans du tout s'en cacher, ce roman étant écrit comme un scénario, avec de simples indications relativement plates de cadres, de mouvements de caméra, de points de vue de spectateur, des espèces de didascalies en quelque sorte. Il a vu les bons films d'ailleurs, ses inspirations venant de façon évidente de Lynch (Eraserhead), Godard (Alphaville, qui est cité) et Wong Kar-Wai (2046 a une trame assez proche). Murakami fait son coming-out cinéphile, assume complètement son talent visuel et sa totale maîtrise des ambiances sans se cacher derrière un brio roublard.

Du coup, les dialogues, même naïfs, même traduits un peu sagement par cette nouvelle traductrice Hélène Morita, prennent un relief particulier, tant les passages descriptifs leur laissent toute la place. Le projet du livre est assez conceptuel : parler de subjectivité et d'objectivité en littérature, à travers des variations sur le thème de l'écran (télé, ordinateur, téléphone portable), repenser la place du lecteur dans le processus du roman, alterner les passages "sans style" et la maîtrise formelle la plus poussée. C'est sûrement un des romans de Murakami les plus obscurs, où la trame se délite de plus en plus pour parvenir à une écriture vouée à l'expérimentation, au seul travail sur la sensation. Les phrases se HM sont glaçantes, font souvent peur, d'autant plus que l'histoire racontée demeure opaque, mystérieuse. Le monde hyper-contemporain déployé là-dedans (supérettes, chambres d'hôtel de passe, bureaux sans vie, fast-foods) résonne parfaitement avec ce style froid comme la vie. Comme dans nombre de ses livres, on sent derrière cette simple description de rencontres entre plusieurs êtres, sourdre quelque chose de plus grand, de terrorisant, de terrassant, qui ne sera jamais clairement nommé, mais dont la présence imprègne chaque page. Et on sent ici que c'est simplement un concept qui effraye, plus qu'un fait précis (comme dans La Course au mouton sauvage par exemple), un concept qui pourrait peut-être se résumer par : c'est le lecteur lui-même qui construit les relations troubles entre les faits racontés, qui torture les personnages ou les fait s'aimer ; c'est l'oeil même du spectateur qui constitue le danger, qui forme la trame.

Si vous ne ressortez pas bouche bée de la lecture de ce livre hyper-contemporain et sublime, c'est que plus rien ne vous étonne, et qu'il faut sûrement revenir à Anna Gavalda et faire une croix sur la littérature.   (Gols - 28/04/07)


site_After_Dark_boekDans cet opus de Murakami plutôt léger (et c'est un compliment, dans le sens "en apesanteur"), je trouve quant à moi, pour prendre un peu la tangente avec mon comparse, que tous les thèmes principaux de l'écrivain japonais sont réunis, sans toujours avoir l'air d'y toucher: les rapports faussés entre frères et soeurs (ici deux soeurs, Mari et Eri ("Nous avons grandi sous le même toit mais pas dans le même monde"), les rencontres de hasard et les petites affinités d'un soir (entre Mari et Takahashi mais aussi avec la prostituée chinoise et Koorogi), les atmosphères fantastiques et troublantes comme ces reflets qui demeurent dans les miroirs après le départ des personnages ou les nuits "fantastiques" d'Eri qui à défaut de passer de l'autre côté du miroir passe de l'autre côté de l'écran de télé), ces personnages inquiétants et maléfiques comme ce mystérieux violeur qui finit par disparaître dans la nuit, ces destins des personnages qui se croisent sans que leur chemin se nouent comme d'éternels rendez-vous reportés, et puis encore cette menace qui plane tour à tour sur chacun d'entre eux, véritable leitmotiv, "Tu ne pourras pas t'échapper", comme si après les espoirs fondés dans l'obscurité, le jour rendrait impossible tout échappatoire.  Et si nous n'étions tous que d'éternels passagers de la nuit...? Murakami se délecte de ces ambiances feutrées du crépuscule dans lequel un monde interlope côtoie un monde d'êtres plus "innocents" mais  presque tout autant désabusés. Le style de Murakami semble également varier comme le remarque Gols, même si les dialogues qui possèdent parfois le naturel de ceux de Salinger (si, si) tombent aussi parfois dans la facilité -est-ce vraiment voulu, peut-être, je serais moins affirmatif... Bref à défaut d'une grande fresque, Murakami livre une oeuvre assez ethérée aux dessous plus profonds qu'il n'y paraît.   (Shang - 14/08/07)

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