Lady Chatterley (2006) de Pascale Ferran
Bon, il me faut bien reconnaître que j'attendais beaucoup de ce film, comme un vrai souffle de fraîcheur sur le cinéma français, et si Lady Chatterley n'est pas exempt de scènes fortes, 2h40 c'est un peu long pour une histoire d'amour champêtre. Certes Ferran ne tombe jamais dans la facilité, Dieu soit loué, en choisissant une héroïne loin de l'image d'Epinal qui ne surjoue en rien "une passion ultra-lyrique et enfiêvrée", mais ce pari de la candeur, d'une certaine mièvrerie même, n'en fait pas pour autant un personnage très attachant. La Lady tente de sortir des sentiers battus, remettant en cause le rôle dominateur du mâle, sa classe et sa position sociale qu'elle a héritées, se lance même dans un petit laïus sur le socialisme mais l'ensemble manque un peu de nerfs, d'énergie, comme étouffé par la nature environnante ; attention, je n'ai rien contre des plans fixes sur un arbre ou un écureuil, ni à la constante attention faite aux bruits de la nature - que la campagne ait un effet apaisant, c'est pas moi qui vais vous dire le contraire vivant dans un brouhaha perpétuel de coups de freins de bus, de klaxons ou de bâtiments qu'on explose - mais il y a un petit côté léthargique que je ne peux m'empêcher de souligner au passage...
Ceci dit, il y a quand même des scènes d'une grande intensité entre nos deux amoureux notamment, comme cette magnifique séquence dans la cabane où face à face dans leur chemise blanche, l'homme - des bois - annonce à la lady qu'elle peut le toucher ; certes Pascale Ferran a piqué cette mise en scène à mon pote Bibice dans son spectacle Xitation mais l'idée reste bonne. Scène de folie lorsque nos deux amants s'ébattent nus sous la pluie créant leur propre paradis, un paradis qu'ils ne pourront que perdre et jamais retrouver : alors que la scène pouvait paraître convenue au départ, la mise en scène de Ferran en fait un véritable moment de grâce ; séquence plus intime lorsque au pied d'un arbre, ils tentent de faire des plans sur la comète, espérant follement pouvoir un jour vivre ensemble, la lucidité finissant par prendre le pas, le tout s'achevant dans une profonde tristesse. Bien aimé également ces passages en "super 8" saturés de couleurs lorsque la Lady part en voyage sur le continent avec sa soeur : une petite bouffée d'air pur dans ce climat campagnard qui finit par devenir un poil étouffant. Enfin, comment ne pas parler de l'Hippo, mari cocufié sur sa chaise roulante, dont l'aveuglement n'a d'égal que son entêtement ; ainsi cette scène d'une certaine drôlerie tragique lorsqu'il décide, sourd à tout conseil, de gravir une colline sur sa machine pétaradante : les deux mains des deux amants qui se côtoient lorsqu'ils finissent par pousser le véhicule est une des plus belles et des plus légères du film qui a du mal parfois à aller vraiment de l'avant.
Une certaine déception par rapport à une attente qui plaçait la barre très haut, mais le film possède suffisamment de charme pour ne pas bouder son plaisir et reconnaître le talent de Ferran d'aller jusqu'au bout de son projet très (trop ?) épuré : la mise à nu des sentiments tout autant que celle des corps ne pouvant peut-être s'atteindre qu'à ce prix. (Shang - 07/06/07)
Bien aimé, moi, ce film, intelligent, très subtil, fin, qui ne balance pour autant jamais aux orties la minéralité, l'érotisme, la joie du roman. Ferran (et le grand Trividic à l'écriture) attaquent la chose par son flanc charnel et incarné : il importe de placer la mystérieuse attirance de Constance pour son homme des bois dans le cadre d'une nature idyllique fort symbolique. Choisissant soigneusement ses décors, les saisons dans lesquelles ils évoluent, ses cadres sur les bois touffus ou les prés fleuris, le rythme même du montage très mesuré, Ferran organise une espèce de grand chant pastoral à la libération des corps et des cœurs prenant place dans une ambiance printanière en adéquation avec la montée des sèves des amants. Dans un tel cadre, la passion semble couler de source : Constance est autant attirée par l'amour que par la transgression, la soif de liberté, et la découverte de ses sens (bien étouffés par un mari rigide et handicapé). Hands est parfaite, jouant certes une certaine candeur, mais aussi une absence complète de culpabilité, de préjugés, de tabous dans sa relation avec le garde-chasse, qui a en charge toute la part d'interdit que leur relation induit. Cette femme est assez insaisissable, et en même temps cristalline. La direction de l'actrice, qui l'amène vers quelque chose d'assez animal, de déconnecté avec la réalité, est vraiment exemplaire, surtout que le scénario lui oppose des acteurs masculins très "ancrés dans la terre" : le mari empêtré dans ses machines infernales et ses considérations pratiques, le garde-chasse homme manuel. Les rencontres entre les deux amants sont des moments de joie intenses, débarrassés de toute contingence sociale, où les corps, peu à peu (ça aussi, c'est très beau), se dévoilent, se connaissent, dans ce cadre presque trop idyllique pour être vrai.
On pourrait lire le film comme un manifeste pour l'émancipation de soi, mais le discours politique, amené avec une finesse exemplaire, va plus loin que ça à mon avis. En fin de compte, c'est peut-être là l'apport profond du film par rapport au roman : Lady Chatterley est "L'Homme" de cette histoire, c'est elle qui prend les décisions, qui a soif de sexe, de la découvert des corps, qui refuse la réflexion ; face à elle, Jean-Louis Coulloc'h, très féminin malgré son corps imposant, semble fragile, pudique, timide. Le fossé entre les classes qui se joue là est sublimement inversé par le fait d'avoir féminisé l'aristo et masculinisé le prolo : il s'en suit une inversion de la domination, qui déborde sur celle des Sexes. Discours intelligent qui était déjà chez Lawrence, mais que je trouve illustré ici, par le jeu des acteurs, avec beaucoup de brio. Si le film est long (peut-être un peu trop, allez), c'est qu'il faut tout ce temps à Ferran pour distiller son discours sans brutalité, avec un tact vraiment remarquable : dans le jeu, comme je disais, mais aussi dans le montage (cherchez pas, c'est du Dedet), qui montre une possession extraordinaire du temps, du détail balancé comme ça sans appuyer, de l'allusion fine, presque de l'idée subliminale. C'est grâce à lui que le film parvient à vous instiller l'impression d'une incarnation de la nature, d'une sexualité sans (pratiquement) aucune nudité franche, et d'un rapport entre les deux. Un film cérébral qui sait être sensoriel, moi ça me fait bander beaucoup plus que Marina Hands à poil... (Gols - 18/06/22)